Débattu depuis plusieurs années, un accord sur un impôt minimum mondial sur les sociétés a finalement été signé par 136 pays en octobre 2021, sous l’égide de l’OCDE. Destiné à porter un coup fatal aux paradis fiscaux et aux pratiques d’optimisation fiscale des multinationales, il est entré en vigueur dans tous les pays signataires en janvier 2024. Parmi eux, des États considérés comme des paradis fiscaux, comme l’Irlande et le Luxembourg.
Un accord historique
L’accord repose sur deux piliers : le premier vise à permettre aux États d’imposer les multinationales étrangères qui réalisent des bénéfices sur leur territoire sans y avoir leur siège social ; le second vise à établir un impôt minimum de 15 % sur les entreprises de tous les pays signataires de l’accord. Bien que salué dans le monde entier comme une révolution fiscale, l’accord a rencontré des difficultés immédiates.
D’un côté, la Chine et les États-Unis ont refusé de ratifier l’accord, alors même que ce sont les Américains qui ont initié, en 2017, sous D. Trump, un premier impôt minimum sur les bénéfices des entreprises réalisés à l’étranger. De plus, J. Biden a poussé en interne pour l’adoption d’un taux d’imposition mondial minimum de 15 %. Le texte se heurte toutefois à la résistance des républicains au Congrès, qui voient dans le premier pilier une attaque contre les grandes entreprises américaines du numérique, au risque de relancer une guerre commerciale et la mise en place de taxes unilatérales dans divers pays. De l’autre, certains critiquent un accord vidé de sa substance par la mise en place de niches fiscales, ou un taux d’imposition jugé trop bas.
Malgré ces difficultés, l’instauration d’un tel impôt mondial est une première dans l’histoire et inspire d’autres initiatives du même ordre. C’est le cas de celle portée par le Brésil au G20, sur la base d’un rapport de l’économiste Gabriel Zucman, qui vise à instaurer un impôt mondial sur les grandes fortunes. Là encore, la proposition se heurte à plusieurs obstacles, dont son rejet par les États-Unis. Par ailleurs, le contexte post-crise de 2008 qui aurait pu favoriser la coopération entre États en matière fiscale s’est atténué pour laisser place à un très fort regain de tensions géopolitiques, défavorable aux accords multilatéraux.
Comment des accords mondiaux touchant au cœur de la souveraineté des États, la fiscalité, sont-ils signés ? Comment la coopération dans ce domaine permet-elle de réduire la concurrence néfaste entre États tout en restant dépendante de cette même concurrence ? La mise en place d’un impôt mondial sur les sociétés pourrait-elle conduire à l’émergence d’une véritable gouvernance fiscale internationale ?
Focus : « Taxez-nous ! » : quand les millionnaires s’engagent pour la justice fiscale
Avec Sylvain Lefèvre, Docteur en science politique, professeur à l’Université du Québec à Montréal, spécialiste du rôle des fondations philanthropiques.
Ces dernières années, des groupes d’ultra-riches ont émergé, réclamant une plus grande justice fiscale pour réduire les inégalités sociales, principalement aux États-Unis et au Royaume-Uni. C’est notamment le cas du mouvement TaxMeNow, auquel participe l’héritière autrichienne Marlene Engelhorn. Dans la continuité des mouvements philanthropiques alternatifs des années 1970, ces groupes s’opposent au système économique dominant qui les a enrichis et interpellent directement les financiers et les États pour les inviter à agir et à les taxer davantage. Quel est l’impact de ces groupes sur la politique fiscale des États, alors qu’un impôt mondial sur les plus riches est débattu au niveau international ? Comment expliquer l’engagement de ces ultra-riches en faveur de la justice fiscale ? Comment s’incarne-t-il ?
Pour aller plus loin
Pascal Saint-Amans est l’auteur de Paradis fiscaux : comment nous avons changé le cours de l’histoire, Éditions du Seuil (2023).
Sylvain Lefèvre est l’auteur de « Les héritiers rebelles : la philanthropie comme suicide de classe », un article publié dans la revue Politix en 2018.