« Les marchés de crédit pour la biodiversité augmenteront le financement de la nature »

« Les marchés de crédit pour la biodiversité augmenteront le financement de la nature »
« Les marchés de crédit pour la biodiversité augmenteront le financement de la nature »

Le Comité consultatif international sur les crédits de biodiversité présentera ses travaux à la COP 16 à Cali. Sa coprésidente, Sylvie Goulard, explique en quoi consistent ces nouveaux outils et comment ils peuvent contribuer au financement de la nature.

Sylvie Goulard
Coprésident du Groupe consultatif international sur les crédits de biodiversité (IAPB)

Actu-Environnement : Quelle est l’origine et la finalité du Comité consultatif international sur les crédits biodiversité que vous co-présidez ?

Sylvie Goulard: L’origine est le Sommet de Paris de juin 2023 pour un nouveau pacte financier dont l’objectif était de favoriser le financement de la transition écologique des pays du Sud. Cette initiative a été lancée par les autorités françaises et britanniques, les deux pays ayant déjà œuvré ensemble pour le climat. Composé d’un peu plus de 25 personnes venues du monde entier, le panel a réuni des profils très différents allant des représentants des peuples autochtones aux scientifiques en passant par des représentants de la finance ou des ONG. Cinq groupes de travail, qui comptaient plus d’une centaine de personnes au total, gravitaient autour de ce noyau central, tandis que des consultations étaient également organisées. L’objectif est de contribuer à la mise en œuvre du Cadre de Kunming-Montréal adopté en décembre 2022 lors de la COP 15 Biodiversité, dont l’objectif n°19 est le développement des financements privés. Nous allons à la COP 16 à Cali (Colombie) fin octobre pour présenter nos travaux, qui consistent en un ensemble de principes et de lignes directrices, ainsi que quelques projets pilotes. Ceux-ci sont certes assez modestes à ce stade, mais ils montrent l’importance que nous accordons à la mise en œuvre sur le terrain. Nous n’avons pas voulu rédiger un rapport sans impact sur la réalité. Et nous ne prétendons pas que les crédits de biodiversité sont la solution miracle pour préserver la nature. D’un côté, d’autres instruments financiers existent. De l’autre, les États disposent d’outils comme l’interdiction d’activités polluantes, l’octroi d’incitations financières pour des activités durables, la levée de taxes ciblées ou de droits de douane.

AE : Comment peut-on définir un crédit biodiversité ?

SG: C’est à la fois simple et compliqué. Il ne s’agit pas de financiariser la nature ou de lui donner un prix absolu – elle est inestimable – mais de mesurer le fruit d’une action qui vise à la préserver, ou à la restaurer, en calculant le gain par rapport à la valeur de la ressource. statu quo. Cela nécessite d’utiliser une méthodologie de mesure sérieuse, vérifiée par des scientifiques tiers ou selon les méthodes traditionnelles des peuples autochtones. L’action doit être à long terme et apporter quelque chose de plus par rapport à ce qui se serait produit naturellement dans l’écosystème.

AE : Quels types de projets pourraient financer des crédits biodiversité ?

SG: Les grands réservoirs de biodiversité se situent principalement au Sud : bassin du Congo, Amazonie, Malaisie, régions Pacifique, etc. L’objectif est d’apporter des financements à ceux qui en ont le plus besoin, à la fois parce qu’ils ont moins de ressources et parce qu’ils ont d’immenses zones à protéger dans l’intérêt de toute l’humanité. Cela peut concerner des opérations de conservation, mais aussi des projets de restauration liés à la création d’infrastructures. Dans les pays du Nord, les écosystèmes méritent aussi d’être protégés et des crédits peuvent être utilisés, mais les capacités financières y sont plus élevées. Les actions porteront davantage sur la restauration d’écosystèmes endommagés par l’usage intensif de l’agriculture, par l’industrie ou par l’artificialisation des sols.

AE : Qui peut être éligible à l’achat de crédits de biodiversité ?

Le financement privé peut provenir de la finance elle-même ou d’entreprises privées qui produisent des biens et des services et qui ont des raisons de s’intéresser à la biodiversité. Nous avons identifié quatre principaux cas d’utilisation des crédits biodiversité :

  • la compensation lorsqu’une réglementation impose par exemple aux entreprises de compenser les dommages que leurs activités peuvent causer, comme cela existe en France ou en Australie. Cette pratique suscite des réticences auxquelles nous avons cherché à répondre en établissant des principes cadres stricts : pas de compensation sauvage, pas de compensation entre différents écosystèmes, et compensation uniquement à proximité. Enfin, la compensation ne peut intervenir que si l’entreprise a d’abord cherché à éviter, ou au moins à réduire, les impacts négatifs d’un projet ;
  • les contributions volontaires d’une entreprise pour son image ou parce qu’elle se sent impliquée dans un pays où elle a des fournisseurs. La rémunération n’exclut pas les contributions volontaires, mais ces deux cas d’usage doivent rester distincts ;
  • des crédits carbone vendus avec une « prime » biodiversité : par exemple, on préserve une mangrove ou une forêt car elle agit comme un puits de carbone et, en même temps, on préserve la faune et la flore qu’elle abrite ;
  • des usages liés à la résilience de la chaîne de valeur des entreprises. Sous l’effet du changement climatique et de la pénurie d’eau, les fournisseurs peuvent être situés dans des zones dégradées qui mettent en péril l’approvisionnement en matières premières. Les entreprises se sont engagées dans des démarches consistant à limiter leur impact et sont soucieuses d’en mesurer les gains pour la nature. Une fois mesurés, ils pourraient un jour donner lieu à l’émission de crédits biodiversité. Si la plupart de ces entreprises n’en sont pas au stade où elles émettront ces crédits, elles sont intéressées par l’idée qu’il puisse y avoir un jour une méthodologie partagée à l’international. Je trouve cet usage très prometteur, car il repose sur le souci de rendre les productions durables. La motivation n’est ni philanthropique ni réglementaire, mais liée au souci d’avoir une activité durable, dans l’intérêt même de l’entreprise.

AE : Pourquoi la notion de marché ? Ne peut-on pas se contenter des seuls crédits de biodiversité sans marché ?

SG: L’entreprise qui veut mesurer son impact peut en effet se contenter de certificats pour son rapport RSE, ou de son reporting à son conseil d’administration ou à ses actionnaires. L’idée d’avoir un marché, donc d’avoir une offre et une demande, c’est d’attirer plus de financements, même en dehors du cas d’usage des entreprises produisant des biens et des services. Mais nous sommes arrivés à la conclusion qu’il ne pouvait pas y avoir de marché unique, car les écosystèmes sont très divers et les métriques le sont aussi. On ne peut pas valoriser un singe en voie de disparition en Afrique contre des coraux dans le Pacifique. En revanche, il y a de la place pour des marchés locaux et régulés.

AE: Quelles mesures de protection comptez-vous mettre en place pour éviter les abus observés sur les marchés des crédits carbone ?

SG: La raison pour laquelle les autorités françaises et britanniques ont lancé cette initiative est justement d’éviter ce qui s’est passé sur le marché du carbone, qui a démarré de manière beaucoup trop désordonnée. On a vu lors de la crise financière de 2008 que l’autorégulation des marchés était un leurre. L’idée de l’IAPB est d’offrir une plateforme de dialogue où les personnes travaillant sur ces sujets se sont rencontrées et ont fait converger leurs vues. Nous avons travaillé avec de nombreux partenaires, qu’il s’agisse d’organisations multilatérales (Banque mondiale, FMI, OCDE, Commission européenne), bilatérales, ou d’organisations privées prêtes à s’engager. Il n’existe malheureusement pas d’autorité mondiale pour les biens publics mondiaux et je suis le premier à le regretter, mais faire converger tous les acteurs potentiels vers une vision plus exigeante est une première étape utile pour éviter les désordres. La démarche permet d’abord d’échanger les bonnes pratiques. Notre rapport fournira ainsi une photographie de l’état des législations existantes dans le monde, notamment sur la compensation. Ensuite, l’objectif est que, quelle que soit la méthode de mesure suivie (satellites, suivi génétique, connaissances locales, etc.), des principes exigeants régissent ces produits ; Par exemple, qu’il y ait une transparence sur les données, un libre accès à la méthode de calcul et une vérification par un tiers de confiance, qui pourrait être public ou privé selon les pays. J’espère qu’un jour un organisme de certification mondial sera en place mais, en attendant, le mieux est que les bases posées à travers le monde soient compatibles entre elles. L’IAPB a travaillé à accroître cette compatibilité.

AE : Des initiatives législatives telles que la CSRD (1) en Europe vont-elles pousser au développement des crédits biodiversité ?

SG: Oui. Il est très important de rappeler l’intérêt stratégique d’amener les entreprises à voir clairement leur impact sur le climat et les écosystèmes, et leur dépendance à leur égard. Les règles CSRD leur donnent des outils de transformation stratégique pour prévenir les risques dans leur chaîne de valeur. La publication selon la directive CSRD permettra d’améliorer le volume et la qualité des données. À l’échelle mondiale, d’autres initiatives volontaires – la Groupe de travail sur les informations financières liées au climat (TCFD) pour le climat ou Groupe de travail sur les informations financières liées à la nature (TNFD) pour la biodiversité – vont dans le même sens. Pour faire de bonnes mesures, il faut des données correctes. Il y a donc un lien entre l’augmentation des obligations de » divulgation » et la facilité de création d’instruments financiers de haute intégrité.

AE : D’autres pays ont-ils rejoint l’initiative ? La position du président de la Commission européenne en faveur d’un marché de la biodiversité va-t-elle dans ce sens ?

SG: A ce stade, il nous reste encore quelques semaines de travail d’ici à Cali. Je ne peux pas parler d’une coalition déjà constituée. Des membres de nombreux pays ont siégé au panel. S’ils n’étaient pas là en tant que représentants de leurs gouvernements, le message est néanmoins parvenu à plusieurs capitales. Les Pays-Bas sont intéressés. Le Japon est l’un des pays où il y a le plus d’entreprises mettant en œuvre le TNFD. Nous sommes aussi très satisfaits du dernier discours positif d’Ursula von der Leyen (2) sur les crédits biodiversité. Le but de la présentation à Cali est justement d’agréger les bonnes volontés. J’espère ardemment que les messages des scientifiques feront comprendre aux Etats qu’il faut agir. Il y a un an, le sujet était encore hors de portée de la réflexion politique. En tout cas, je suis extrêmement confiant sur le fait que nous verrons ces marchés démarrer, notamment en Colombie, en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Afrique. La vraie question est de savoir s’ils se développeront de manière suffisamment rigoureuse et structurée, comme le propose l’IAPB. Si nous créons la confiance avec de bons projets, et des marchés bien régulés, les financements pourront devenir disponibles plus rapidement.

Article publié le 25 septembre 2024

 
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