Le luxe peut-il développer un modèle économique véritablement durable ?

Le luxe peut-il développer un modèle économique véritablement durable ?
Le luxe peut-il développer un modèle économique véritablement durable ?

Alors laissez le semaine de la mode Depuis Paris, le secteur du luxe doit relever le défi de la durabilité. S’il a fait des efforts indéniables en la matière, il doit désormais convaincre les consommateurs du bien-fondé de sa démarche.


Luxe et développement durable sont-ils compatibles ? La question est d’autant plus aiguë que les valeurs du luxe peuvent sembler contradictoires avec celles de la RSE. D’où les nombreux débats sur ce sujet ces dernières années. Aujourd’hui, cette question n’est plus tellement d’actualité, puisque l’engagement des entreprises de luxe en faveur de la durabilité est devenu un impératif stratégique. Dans le secteur de la mode, la RSE est de plus en plus considérée comme une composante essentielle de la redéfinition des modèles économiques. C’est d’autant plus vrai dans le cas du luxe, qui devrait jouer un rôle de premier plan dans la promotion de la durabilité, de l’avis de nombreuses parties prenantes (ONG, institutions publiques, universitaires).

Plusieurs raisons expliquent cette exigence. Tout d’abord, l’exemplarité de ce secteur et son pouvoir d’influence. Le luxe occupe en effet une place centrale dans les sociétés de consommation grâce à sa visibilité et son pouvoir symbolique. Ensuite, le rayonnement international du luxe étend sa capacité d’influence au-delà des frontières nationales. Enfin, sa puissance financière permet d’investir dans des innovations durables.

Durabilité planifiée : une première étape

Si dans un passé récent, l’engagement durable des marques de luxe se faisait principalement via des actions de mécénat, leur champ d’action s’est progressivement élargi. L’excellente qualité des produits de luxe et leur intemporalité ont notamment facilité le développement de nouveaux modèles économiques fondés sur l’optimisation des usages. Cela concerne d’abord la réparation, considérée comme l’une des pierres angulaires du nouveau paradigme de la durabilité programmée. Ainsi, en 2023, le groupe LVMH a décerné son Prix de l’Innovation à « Save Your Wardrobe », une plateforme de réparation londonienne. Bernard Arnault, PDG du groupe, avait alors déclaré :

« Save Your Wardrobe illustre parfaitement notre ambition en matière de circularité créative, pilier de notre feuille de route environnementale, Life 360. »

Les marques de luxe ont ensuite pris le contrôle du marché de l’occasion. Le PDG de Kering, François-Henri Pinault, indiquait en 2021 que :

« Le luxe d’occasion est désormais une tendance réelle et profonde, notamment auprès des jeunes consommateurs. Plutôt que de l’ignorer, nous souhaitons saisir cette opportunité pour continuer à améliorer les services proposés à nos clients et orienter l’avenir de notre secteur vers des pratiques plus innovantes et durables. »

Enfin, le modèle économique de la location, basé sur une proposition de fonctionnalité, a suscité l’intérêt du secteur. Il permet d’envisager une tendance importante, celle d’un luxe d’expérience particulièrement recherché par les millennials et la génération Z.


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Nouveaux matériaux

D’autres actions de durabilité vont encore plus loin et affectent le produit lui-même. D’une part, cela implique la pratique de l’upcycling, une forme de recyclage par le haut consistant à prendre des matériaux (par exemple des chutes de cuir) ou des produits (par exemple des articles invendus) et à leur donner une nouvelle vie. Par exemple, en 2020, la marque Giorgio Armani a développé « Recycled Emporio Armani », une collection capsule dédiée à la régénération (laine régénérée, denim et coton biologique). D’autre part, des efforts pour développer de nouveaux matériaux ont été initiés.

Le secteur du luxe est en effet à l’origine de plusieurs projets innovants. En ce sens, Stella McCartney a noué des collaborations avec plusieurs start-up de biotechnologie pour développer du cuir vegan, du coton régénératif ou encore des matières textiles à base de protéines totalement biodégradables.

Des fournisseurs réticents

Dans leur ambition de rendre leur modèle économique plus durable, les entreprises du luxe se heurtent à certains obstacles. En amont du modèle économique, elles doivent parfois composer avec des fournisseurs réticents à toute initiative de développement durable. A titre d’illustration, le fabricant de chaussures haut de gamme Floris Van Bommel s’est heurté au refus de ses fournisseurs de cuir en Inde de se soumettre à des contrôles de performance environnementale. Cette réticence observée chez les fournisseurs, notamment dans les pays en développement, s’explique très souvent par leur faible capacité financière ou par un personnel de conception ancré dans des compétences artisanales et des connaissances culturelles tacites, qui peuvent renforcer la résistance au changement.

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C’est pourquoi un modèle de relations avec les fournisseurs basé sur la collaboration (plutôt que sur la coercition) serait plus favorable à la diffusion de la RSE dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Comme le soulignent à juste titre Bocken et ses collègues, la mise en œuvre de la durabilité dans un modèle d’entreprise nécessite l’adoption d’une approche intégrative. En particulier, la collaboration avec des partenaires externes peut s’avérer indispensable pour faciliter la transition des chaînes de valeur vers une plus grande durabilité.

Des consommateurs aux attentes contradictoires

En aval, la volonté des entreprises de luxe d’élargir leur potentiel de création de valeur à d’autres types de valeurs immatérielles (environnementales et sociales) peut être freinée par les réactions sceptiques des consommateurs. En effet, la réduction de l’impact environnemental et/ou social peut être associée à une dégradation de la qualité du produit ou à une diminution du confort. Il est donc impératif de comprendre les besoins et le comportement des clients avant de mettre en œuvre un modèle économique durable.

BFM.

Cependant, les consommateurs de luxe, connus pour leur exigence, semblent réticents à changer leur comportement de consommation et sont réticents à remplacer les matériaux conventionnels par des matériaux plus durables. Par exemple, l’introduction de tissus recyclés dans les vêtements de luxe tend à avoir un impact négatif sur les préférences des consommateurs. Le recyclage est considéré comme incompatible avec le prestige du luxe, dont la principale Source réside dans les matières premières nobles utilisées.

De même, dans le cas des nouveaux matériaux développés pour répondre à la problématique du bien-être animal, des recherches récentes ont montré que les consommateurs sont réticents à renoncer aux matières d’origine animale. Ils les considèrent comme indispensables pour garantir la qualité, la durabilité et le confort des produits de luxe. Ils ont également une image négative des matériaux alternatifs durables, qu’ils jugent de mauvaise qualité. Ainsi, alors qu’en général une proposition de valeur fondée sur la durabilité pourrait présenter l’avantage stratégique de renforcer la valeur ajoutée, le secteur du luxe semble faire exception. La prédominance des motivations de consommation égocentriques fait qu’une valeur étendue basée sur l’intégration de matériaux alternatifs peine à séduire.

De la co-création au gagnant-gagnant

Pour surmonter la réticence des consommateurs à l’égard des nouveaux matériaux durables, les entreprises de luxe disposent de certains leviers d’action. Tout d’abord, impliquer les consommateurs dans leur processus de création de valeur durable. Une démarche de co-création tend généralement à renforcer l’attachement émotionnel des consommateurs et à augmenter la valeur du produit. Ensuite, cultiver la rareté des produits fabriqués à partir de matériaux alternatifs. Un tel choix répondrait aux attentes des consommateurs de luxe, notamment ceux qui sont fascinés par les produits uniques et qui sont sensibles au caractère ostentatoire des objets.

L’engagement du secteur du luxe en faveur du développement durable ne fait plus aucun doute. Ses ambitions sont toutefois aujourd’hui freinées par certains facteurs contextuels, qui peuvent expliquer la volonté de certains acteurs de procéder avec prudence en expérimentant des initiatives écologiques à petite échelle.

 
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