La télémédecine, la grande tentation
Les cabines de téléconsultation médicale se multiplient partout en Charente. Déployée pour sauver des déserts médicaux, l’idée est loin d’être évidente pour certains professionnels du secteur.
A Angoulême, huit pharmacies ont déjà franchi le pas de la télémédecine via des cabines ou des bornes commercialisées par les groupes Tessan et Medadom, les deux principaux à se partager le marché en ville.
Ce n’est pas rentable, on rend service aux patients.
A la pharmacie Alsace Lorraine, rue de Périgueux, l’installation d’un stand en juillet dernier a été motivée par les départs, passés et futurs, de plusieurs médecins généralistes du quartier de La Bussatte. “Certains ne seront pas remplacés alors qu’en même temps, on rencontre des nouveaux venus”, témoigne le patron Julien Lecante. Une tendance qui s’est accélérée ces dernières années avec la création et le développement des écoles de l’image et l’afflux croissant d’étudiants dont la majorité ne sont pas issus du département et n’ont donc pas de médecin traitant sur place.
“Je gagne de l’argent indirectement”
Dans la pharmacie Alsace Lorraine, ni salle d’attente ni table d’auscultation, tout est condensé dans la cabine de 4 m³, au fond du magasin, qui CL testé sans rendez-vous (voir encadré). Un investissement conséquent de “30 000 euros” pour Julien Lecante, qui perçoit un euro par consultation, auquel s’ajoutent trois euros pour accéder à la machine. Une quantité “symbolique” pour le pharmacien permettant renforcer” utilisateurs, 295 durant les six mois de 2022 pour une demande quasi exclusive de généralistes (95%) et seulement 5% de spécialistes. Une statistique qui a du sens : on a du mal à imaginer une consultation chez un gastro-entérologue en cabine.
« Ce n’est pas rentable. note Michel Daste, pharmacien rue Hergé. Nous servons les patients. »
---Depuis 2020, il a pourtant installé deux cabines dans sa pharmacie. Par pur altruisme ? L’opération est un moyen pour le professionnel d’attirer et de fidéliser les clients qui lui achèteront les médicaments. “Je gagne de l’argent indirectement”.
Ce qui n’enlève rien à ” service “ apporté. Michel Daste a vu des piétons tombés sur l’un des pavés branlants de la rue Hergé pousser la porte de sa maison et repartir en moins d’une heure avec une ordonnance pour une radio. Impensable s’il avait fallu prendre rendez-vous avec un médecin généraliste. Idem pour les renouvellements de médicaments ou de pilules, bien plus rapides via la télémédecine.
“Une réponse commerciale”
Une pratique qui a ses limites, selon Gilles Raymond, président départemental du syndicat MG, la Fédération française des médecins généralistes, observant « Une réponse commerciale à une offre insuffisante et à une demande exponentielle. »
« On voit les prescriptions qui sortent de ces machines, il y a beaucoup d’antibiotiques, des traitements pas forcément nécessaires et des arrêts de travail. J’ose espérer qu’il y ait un observatoire concernant la consommation de soins de la peau », développe le praticien, inquiet d’un “dégradation de la qualité des soins”. Pour lui, la réponse ne doit pas venir des entreprises, mais de la profession elle-même en lien avec l’Etat qui “faut comprendre que le métier n’est plus attractif”. « C’est plus confortable et parfois mieux rémunéré de travailler sur une plateforme en ligne que de voir des patients au cabinet. » Il poursuit : « La médecine, c’est avoir un contact avec son patient, connaître son parcours, pouvoir le suivre en personne et ne pas avoir une succession de médecins différents. » Et pour conclure : « Sous prétexte qu’il y a un manque, il ne faut rien faire. »
La cabine, comment ça marche ?
CL testé la cabine de téléconsultation de la pharmacie Alsace-Lorraine, rue de Périgueux. Après être passé au guichet pour régler les trois euros d’accès à la machine, plusieurs étapes sont à suivre une fois à l’intérieur : – saisir sa carte Vitale. Créez un compte Tessan. Sélectionnez le médecin souhaité : médecin généraliste ou spécialiste (dans ce cas, vous devez prendre rendez-vous au préalable). Décrivez ses symptômes. Renseignez vos coordonnées bancaires : la consultation est facturée neuf euros, remboursée par la Sécurité Sociale. Attendez dans la file d’attente numérique. Après 15 minutes d’attente, un médecin apparaît à l’écran, ce jour-là un médecin généraliste employé par un centre de santé de Tessan à Toulouse. L’auscultation commence à distance grâce aux différents appareils branchés à portée du patient (thermomètre temporal, tensiomètre, stéthoscope, oxymètre, etc.). L’ordonnance est imprimée en cabine.