Oui, les personnes sourdes peuvent jouer d’un instrument de Musique. C’est le message que souhaite transmettre le Hummingbird Orchestra. Pour le prouver, il utilise le modèle d’un ensemble musical où se réunissent des enfants sourds et entendants. Chacun apprend à son rythme et bénéficie ainsi des vertus de la musique et de la pratique en groupe.
C’est un projet qui brise les idées reçues sur le handicap. A Marseille, depuis plus d’un an, cinq enfants sourds ou malentendants suivent des cours de musique au Conservatoire Pierre Barbizet. Ils y apprennent le solfège et la pratique d’un instrument (violon, alto, violoncelle ou flûte). Comme tout le monde, et avec tout le monde. « Chacun est associé à un « jumeau », à savoir un enfant à peu près du même âge et jouant du même instrument. Une sorte de tuteur qui l’aide à apprendre. C’est important musicalement et humainement. »souligne Frédéric Isoletta, chef d’orchestre à l’initiative de ce projet porté par le Collectif d’Artistes et Musiciens Lyriques pour la Solidarité (alias CALMS – lire prime). Chaque binôme est également dirigé par un musicien professionnel qui fait office de parrain/marraine. Ils forment tous un véritable orchestre : le Hummingbird Orchestra.
Chansons adaptées
Concrètement, les enfants du petit groupe de personnes sourdes ou malentendantes ont trois rendez-vous hebdomadaires en musique. Un cours particulier d’instrument, dispensé par un professeur du conservatoire. Une autre théorie musicale. Et une répétition collective tous les samedis. Les jumeaux les rejoignent toutes les deux semaines, et toutes les trois semaines les parrains et marraines. Un rythme plutôt intensif qui leur permet de progresser et surtout de gagner en aisance.
Ce samedi de janvier, le premier après les vacances de Noël, tous les membres du Hummingbird Orchestra sont réunis. Et répéter une pièce écrite spécialement pour eux par Frédéric Isoletta. « J’ai contacté des chercheurs pour le composer. C’est adapté à leur handicap et ils peuvent y jouer”il explique. Chaque groupe possède sa propre partition. Quant aux flûtes, Alpha et Evan s’appliquent. Le premier aide le second à suivre le rythme, vérifie qu’il a bien compris les consignes. Juliette Jolain, flûtiste à l’Opéra de Marseille, encadre. « Je veille à ce qu’ils aient une vraie relation de collègues, ce qui est effectivement le cas. Ils aiment cet aspect orchestral, c’est un « endroit sûr » ici »elle apprécie.
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Collègues et surtout amis
Lorsque l’ensemble joue ensemble, la magie opère. Rien ne distingue les enfants sourds ou malentendants des autres, hormis les appareils auditifs visibles chez certains. « Chacun a sa place et apporte ce qu’il a à apporter »résume Mikhael Piccone, fondateur de CALMS. Et Frédéric Isoletta d’abonder : « Cela leur fait du bien en termes de psychomotricité, de langage, de sociabilité. Et cela les rend fiers ».
C’est ce que confirment les principaux intervenants, suivis pendant un an par la réalisatrice Daniela Lanzuisi (prime). « Être avec d’autres enfants sourds me rassure un peu car je ne suis pas le seul »confie Alexandre, le violoncelliste de la troupe. Léandre, qui a opté pour le violon, ajoute : « Si je n’avais pas l’orchestre, j’aurais moins d’amis, je pense. Ce sont de vrais amis.. Une cohésion de groupe qui s’avère bénéfique en pratique. « Au début, ils avaient peur de jouer devant les autres, de faire des fausses notes. Ils sont beaucoup plus à l’aise aujourd’hui”note Juliette Jolain. Un sentiment corroboré par le jeune violoniste. «Je me sens libre de faire ce que je veux. Même si j’échoue, je me sens libre »il glisse.
Rendre la musique universelle
Le but du projet n’est pas de former les enfants à des métiers. “C’est pour montrer que tout le monde peut faire de la musique, parce que nous en sommes convaincus”explique Malvina Pastor, la référente pédagogique du projet. Ce musicien professionnel est né à moitié sourd et a commencé à jouer du piano avant même d’être appareillé. « La musique est une expérience multisensorielle. On peut aussi entendre à travers la peau, via les vibrations. Mon expérience me permet d’aider les personnes sourdes à jouer de la musique et d’expliquer aux entendants comment y parvenir”elle a souri.
Outre le soutien de Malvina Pastor, les parrains et professeurs du conservatoire ont été sensibilisés au handicap par Urapeda Sud. Cette association, qui œuvre pour l’autonomie et la citoyenneté des personnes sourdes ou malentendantes, les a notamment formés à « bonnes pratiques ». « Comme, par exemple, comment bien s’adresser aux enfants. C’est-à-dire en nous positionnant face à eux pour qu’ils puissent lire sur nos lèvres »illustre Juliette Jolain. Des gestes simples mais essentiels pour qu’ils se sentent à l’aise et en confiance.
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Dupliquer l’orchestre
Fort du succès de l’expérience marseillaise, CALMS souhaite désormais dupliquer l’Orchestre des Colibris. Une seconde a déjà démarré en septembre 2024 dans le bassin Est de l’Étang de Berre (qui regroupe les communes de Vitrolles, Marignane et Berre l’Étang). Il n’y a actuellement que deux paires, il reste donc des places. « Les enfants sourds sont acceptés quel que soit leur niveau. Il suffit qu’ils veuillent apprendre la musique.dit Mikhael Piccone. Pour les jumeaux/jumeaux, ils doivent avoir deux à trois ans de formation en orchestre afin de pouvoir jouer pleinement leur rôle de tuteur.
D’ici septembre prochain, le Conservatoire Darius Milhaud d’Aix-en-Provence et le Conservatoire Départemental de Musique des Alpes-Maritimes (touchant Nice et ses environs) devraient également lancer leur propre orchestre inclusif. Ailleurs, des discussions sont en cours à Paris, Lyon, Toulouse et Montpellier. Pour les enfants sourds ou malentendants, le plafond de verre explose. ♦
Prime
# Un projet né d’une expérience personnelle – Celle de Frédéric Isoletta, père d’un enfant sourd de naissance. En tant que chef d’orchestre, il met dès ses débuts Alexandre en contact avec la musique, grâce aux vibrations du piano. « Lorsque mon fils a appris le français signé, j’ai imaginé et conçu des gestes conducteurs directement inspirés de cette langue des signes. Petit à petit, en voyant ses réactions à la musique, et même en le faisant pratiquer, j’ai commencé à imaginer ce nouveau concept : enseigner la musique à ces enfants et les intégrer dans un orchestre.il rembobine. Ayant joué au sein de CALMS, il s’est rapproché de cette structure avec laquelle s’est développé le projet tel qu’il se présente aujourd’hui.
# Un documentaire à ne pas manquer – « Musique sourde » par Daniela Lanzuisi. Ce réalisateur basé à Marseille a suivi et filmé toute la première année d’existence de l’Orchestre des Colibris. A retrouver en cliquant ici.
# CALME toujours plus solidaire – L’Orchestre des Colibris fait partie des projets portés par ce Collectif d’Artistes Lyriques et Musiciens pour la Solidarité. Cette association créée en 2019 (notre rapport est à retrouver ici) poursuit ses autres activités en parallèle. A savoir « Déconfinés Opéras », concerts d’opéra dans les quartiers prioritaires et zones rurales. Ou encore des « Quartiers enchantés », des chorales créées pour fédérer les habitants des quartiers populaires. Quant aux concerts « Solidarity Voices », l’événement fait une pause cette année pour revenir sous un format national la saison prochaine.
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