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« La marathonienne Kathrine Switzer est mon idole. Le monde serait différent si les femmes prenaient confiance en elles dans le sport.

Louise Bourgeois, la sculpteure stimulante

« Je l’ai découverte en école d’art et depuis, je n’ai cessé d’aimer la connaître. Son travail est engagé, féministe, tout en restant accessible et populaire. Tout le monde aime les araignées de Louise Bourgeois, sans forcément savoir qu’elles représentent quelque chose de très intime et de très sombre. J’aime aussi le fait qu’elle ait traversé toutes les époques de l’art, commençant à une époque où il était compliqué pour une femme d’être artiste, et assez tard en terme d’âge. Car elle a pris une longue pause pour élever ses enfants, avant de poser un geste fort en transformant sa cuisine en atelier, après leur départ. Ça m’amuse qu’elle se dise : la nourriture pour les autres, c’est fini !

« La partie la plus intense de sa carrière s’est en fait déroulée vers la fin, créant jusqu’à l’âge de 98 ans. Avoir des modèles féminins qui font des choses après 50 ans est toujours stimulant. Ils nous rappellent que la meilleure partie de la vie nous attend. En art, c’est même une évidence : plus on vieillit, plus on se débarrasse de ce qui nous empêche de créer et de la peur du regard des autres. J’aime aussi tous ceux qui peignent tard dans la vie comme Alice Neel.

Robin Hobb, l’auteur du cheval de Troie

« Dans un climat rigoureux, la fantasy est ma bulle d’oxygène et Robin Hobb, mon auteur préféré. Elle crée de la très bonne littérature, sans oublier, là encore, une existence incroyable. Élevée en Alaska, elle a vécu dans des endroits reculés en livrant du courrier, tout en élevant trois enfants, avant de commencer à écrire à 40 ans. Elle a aujourd’hui 72 ans et son travail continue de s’améliorer. Son vrai nom est Margaret, mais à ses débuts, l’environnement était tellement dominé par les hommes qu’elle a choisi un nom d’homme. C’est le George Sand de la fantasy. »

« Dans sa saga, elle aborde des thèmes comme le désir ou non d’avoir des enfants, les agressions sexuelles, la détermination à préférer l’aventure au rôle de femme au foyer, et on croise des personnages féminins riches, auxquels une femme peut croire. En fait, je n’ai plus que des auteurs féminins sur ma pile de livres à lire car comme les femmes ont plus de chances d’être publiées, elles proposent des propositions fortes et des points de vue innovants. Je ne supporte plus les personnages féminins ultra stéréotypés inventés par les hommes. Et puis, il y a aussi tant de biographies de femmes fascinantes à découvrir.»

« Quant à Robin Hobb, elle est un excellent cheval de Troie pour convertir son entourage au fantastique car dans ses premiers tomes, elle raconte surtout des intrigues de cour et de politique que tout le monde aime. Mais petit à petit, boum, un ou deux dragons apparaissent. J’en propose beaucoup.

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Bernadette Després, la créatrice d’une génération

« Les femmes qui créent m’inspirent toujours, notamment parce que je les ai découvertes tardivement et je suis convaincue que j’aurais grandi différemment en sachant qu’il y en avait autant. Je trouve par exemple que la créatrice Bernadette Després, qui vient de décéder, n’a pas eu la reconnaissance qu’elle méritait, même si elle a marqué toute une génération. Enfant, sa bande dessinée Tom Tom et Nana c’était ma religion. J’attendais ses pages chaque mois, que je lisais volontairement très lentement.

« Je pense qu’elle a commencé cette BD par hasard, en 1977, parce qu’on lui demandait d’inventer des personnages et elle se disait qu’il fallait parler à la hauteur des enfants. Tom Tom et Nana font plein de bêtises élaborées, ce qui est un régal à lire pour un enfant, et en même temps, tout se passe dans un cadre rassurant, avec une famille débordée mais aimante.

« Plus tard, j’ai été fâché de voir qu’elle n’était jamais citée parmi les maîtres de la bande dessinée. J’ai voté pour elle chaque année au Grand Prix d’Angoulême, qui récompense une œuvre à fort impact. Mais elle ne l’obtiendra jamais de son vivant. Pendant longtemps, les femmes caricaturistes n’étaient tolérées que si elles travaillaient dans des illustrations pour enfants, considérées comme inoffensives. D’ailleurs, tous les hommages rendus à Bernadette Després ont vanté son trait naïf et enfantin. Un homme n’hériterait jamais de ces qualificatifs. Pour réussir à être aussi juste qu’elle, il faut en effet une ligne claire et très efficace. Bernadette Després était avant tout une excellente dessinatrice.

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Björk, le musicien punchy

« J’ai pris des cours d’instruments toute ma vie, j’adore en jouer, même si je les joue mal, je suis marié à un musicien et la musique représente pour moi la charge émotionnelle la plus forte. Je pleure en musique. Je pense aussi que l’environnement est cruel envers les femmes, peut-être encore plus qu’en peinture, en cherchant à en faire des objets plutôt que des sujets. Mais Björk a réussi à devenir un artiste total, à qui rien n’est imposé. C’est un génie musical. A 7 ans, elle savait déjà jouer de 14 instruments, avant de rejoindre un groupe punk à l’adolescence, et d’explorer tout, en faisant toujours des choix ultra coupants.

« Je passe parfois des après-midi entiers à écouter les playlists de Björk lorsque je dessine, et à chaque fois, tout semble en avance sur son temps. J’ai grandi dans les années 1990, quand il n’y avait que des groupes de rock masculins, ce que je trouvais cool. J’étais alors convaincu que la musique était une affaire de gars. Et puis j’ai découvert Björk, Courtney Love et Missy Elliott, des femmes capables de tout : parler de sexualité dans leurs chansons, se prétendre femmes, gagner de l’argent, aider les autres à gagner de l’argent. Ils représentent ma première révélation puissante.

Kathrine Switzer, la puissante marathonienne

« Cette marathonienne est mon idole, et ses mémoires sont une bible de réflexions féministes sur l’émancipation par le sport, un sujet que je trouve important. Pas très sportif au début, j’ai commencé à courir il y a 10 ans, et c’est devenu une passion qui cochait toutes les cases que j’aime : c’est solitaire, on ne vise pas la perfection mais la progression, tous les nœuds de la tête se défont pendant que en cours d’exécution. Je participe même à des marathons, en m’entraînant très dur. C’est quelque chose qui ne dépend pas de mon travail ou de ma relation, et que personne ne m’enlèvera. Et je reste enthousiasmé par l’histoire de Kathrine Switzer. En 1967, elle s’inscrit sous ses initiales au marathon de Boston, interdit aux femmes car on prétendait que les longues courses endommageaient leurs organes reproducteurs. Comme si c’était leur seule fonction.

«Lorsque les médias ont découvert Kathrine Switzer dans la course, il y a eu beaucoup de bruit et l’un des organisateurs a même tenté de la faire tomber. Effrayée, elle accélère et termine le marathon avec un super chrono. Elle est devenue multi-marathonienne et journaliste sportive. En 1984, c’est elle qui commente la première course de marathon aux Jeux olympiques de Los Angeles, faisant entendre au stade l’arrivée de la première femme. Les archives sont écrasantes.

« Un jour, j’aimerais écrire un livre sur le sport car je pense que le monde serait différent si les femmes prenaient confiance en elles dans le sport. Courir m’a donné confiance dans des choses qui ne me sont pas du tout naturelles, et qui n’ont rien à voir avec la forme ou l’esthétique. C’est une découverte de son propre pouvoir.


Cours

Après des études à l’Ecole Nationale Supérieure des Décoratifs de Paris, puis au Central Saint Martins College of Art and Design de Londres, Pénélope Bagieu réalise un court métrage (On ne rigole plus), qui circule dans tous les festivals. Avant que sa carrière ne décolle, de bande dessinée en bande dessinée : Cadavre exquis, Culotte, La Californie rêve, Les strates (dans lequel elle raconte son expérience d’agression sexuelle). En 2019, elle a reçu le prestigieux prix Eisner. Et chante même une reprise de Je ne peux tout simplement pas en avoir assez sur le nouvel album de son compagnon, Waxx.

Lire aussi : Le dépouillement autobiographique de Pénélope Bagieu en bande dessinée
 
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