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les secrets d’Apollon et de Marsyas de Ribera, un tableau d’une cruelle beauté

Si l’orthographe de son prénom diffère régulièrement selon les biographes et les notices – José ici, Jusepe là – c’est que Ribera, né près de Valence en 1591, quitta très tôt l’Espagne pour faire toute sa carrière en Italie, et plus particulièrement à Naples, pour dont son nom est devenu le métonyme parfait, si bien que de nombreuses églises napolitaines abritent jalousement des œuvres majeures de la ” Espagnol “le « petit Espagnol ». Le Petit Palais à Paris accueille, jusqu’au 23 février 2025, sa première rétrospective en .

La conversion au Caravage

Singulièrement, lorsque Ribera s’installe à Rome, vers 1605-1606, le Caravage vient de quitter la cité papale pour Naples. Les deux hommes se sont-ils croisés ? Rien ne permet de l’établir avec certitude, d’autant que la star du Caravage tourne dans la nuit du monde. Peu importe: Ribera, de par son association avec les chefs-d’œuvre de son aîné, converti à l’obscurité et à la fougue, “vers les ténèbres et la lumière”pour paraphraser le titre de la rétrospective qui lui est finalement consacrée au Petit Palais à Paris.

Jusepe de Ribera, Le Jugement de Salomon, 1609-1610, huile sur toile, 153×201 cm, Galerie Borghèse, Rome. © Galerie Borghèse

Composant des scènes d’un réalisme brut, utilisant des modèles vivants, plongeant dans l’obscurité, voire la laideur, débarrassant la beauté des atours de la joliesse, adoptant une frontalité audacieuse, Ribera poursuit la leçon caravagesque, attentive au clair-obscur et aux angles morts, aux mendiants, aux aveugles, aux ivrognes et aux pieds bots. Le monde, avec ses marges et ses marginaux, entre majestueusement dans cette peinture centrifuge, tel un vortex.

Une première en France
Distinguant le séjour romain de la période napolitaine, l’exposition refuse le simple parcours anthologique pour proposer une réflexion savante sur l’œuvre de Ribera. Riche d’une centaine d’œuvres, issues des institutions françaises et internationales les plus prestigieuses, cette première rétrospective française confronte la peinture sacrée et profane de l’artiste, ainsi que sa remarquable production graphique. Ample et pionnière, avec des attributions récemment ajoutées au corpus romain de Ribera, cette exposition décisive se distingue par sa grande rigueur scientifique. Un événement, en somme.

L’héritier du Caravage

En 1616, après avoir développé une syntaxe remarquable et remarquée, qui le marquait déjà comme l’un des plus importants héritiers du Caravage, Ribera s’installe à Naples, alors territoire espagnol. Recevant des commandes pour la collégiale d’Osuna, près de Séville, ou pour l’église de la Trinité des Monaches, à Naples, le peintre livre des œuvres inoubliables et profondément spirituelles (Saint Jérôme et l’ange du jugement1626) ou volontairement étrange (La femme barbue1631), attestent de son aisance formelle et de sa souplesse iconographique.

Joseph de Ribera, Saint Jérôme et l’Ange du Jugement dernier, 1626, huile sur toile, 262×164 cm, Musée et Real Bosco di Capodimonte, Naples. © Musée du sommet de la montagne et forêt royale

A Naples, qui n’aime que la grâce, la démesure et la virtuosité, la peinture de Ribera fait des miracles et suscite le désir. Issue de la prestigieuse collection du prince Andrea d’Avalos, la toile Apollon et Marsyasexécuté en 1637, trahit la capacité de l’artiste à régénérer un genre – mythologique -, à y incorporer diverses influences – notamment vénitiennes – et à alléger sa palette, selon une inflexion tardive. Pour ce grand tableau (182 x 232 cm), Ribera emprunte à Métamorphoses d’Ovide un sujet éminemment dramatique : pour avoir récupéré l’aulos d’Athéna, instrument à vent dont la déesse s’était séparée sous prétexte qu’il lui déformait le visage, le satyre Marsyas devint un musicien captivant, dont l’orgueil fut bientôt puni par Apollon qui, au terme d’une joute cruelle, punit l’impudent en l’écorchant vif.

Jusepe de Ribera, Apollon et Marsyas, 1637, Naples, Musée et vrai bois de Capodimonte, © Musée et vrai bois de Capodimonte, Naples

Mais, au ténébrisme asphyxié des débuts, Ribera ajoute ici de l’air et de la lumière, de la clarté et de la couleur. Édifiante, cette scène, conçue sous la triple égide du Caravage, Michel-Ange et Titien, est un sommet baroque, irrésistiblement rappelé par le Bernin, Pierre Paul Rubens et Luca Giordano. Il a tiré de cet épisode une interprétation similaire, y compris au sens littéral, puisqu’il côtoie aujourd’hui celui de Ribera, donné à l’État italien en 1862, au cœur des collections permanentes du musée Capodimonte, à Naples. Cette cimaise, qui mérite d’être vue une fois dans sa vie, fait office de démonstration : le Espagnol est un artiste prodigieux et un redoutable passeur.
Ribera, Ténèbres et Lumière

 
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