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« L’inconscient est politiquement incorrect et la sexualité est fondamentalement harcelante »

La psychanalyse révèle l’inconscient politiquement incorrect et la sexualité harcelante qui sommeille en nous. De Freud à Lacan, de Catherine Millet à Artemisia Gentileschi, une plongée subversive au cœur des pulsions les plus obscures et transgressives de la psyché humaine.

« L’inconscient est politiquement incorrect et la sexualité est fondamentalement harcelante »

Cette citation du psychanalyste Jacques André rappelle à quel point la psychanalyse reste une discipline subversive, mettant en lumière les fondements les plus obscurs et les plus inquiétants du psychisme humain. Loin de toute complaisance ni de tout moralisme, elle nous confronte à l’altérité radicale de l’inconscient et à la dimension sauvage de la sexualité, pour mieux en comprendre les mécanismes et les enjeux.

En affirmant que « l’inconscient est politiquement incorrect », Jacques André met en évidence l’opposition fondamentale entre la logique de l’inconscient et les normes sociales contemporaines, notamment celles issues du mouvement du « politiquement correct ». Là où ce mouvement vise à créer un langage et des comportements de pensée juste, l’inconscient se révèle imperméable à ces tentatives de régulation et de contrôle du discours, maintenant sa propre logique du désir qui peut entrer en conflit avec les conventions sociales. et les idéaux contemporains.

De même, en qualifiant la sexualité de « fondamentalement harcelante », Jacques André souligne le caractère instinctif et potentiellement invasif de la sexualité humaine, qui se manifeste dès l’enfance et persiste tout au long de la vie. Cette dimension « harcelante » s’oppose à l’idée d’une sexualité « naturelle », révélant au contraire les aspects les plus transgressifs et les plus incorrects du désir humain. La sexualité, en tant que force fondamentale de l’inconscient, est perpétuellement en tension avec les contraintes sociales et culturelles.

Rapide retour aux fondements de la théorie psychanalytique : l’inconscient est une instance psychique immatérielle qui échappe au soi et à son inscription adaptative dans le réel. Contrairement à l’ego, l’inconscient n’est régi que par le principe de plaisir et l’énergie qui y circule recherche une satisfaction pulsionnelle immédiate. Elle ignore les contraintes de la pensée rationnelle. Parce qu’elle est structurée comme un langage, elle est fondamentalement marquée par l’altérité, l’absence et le manque, ce qui la rend irréductible à toute tentative de normalisation ou de régulation sociale. Les rêves, les lapsus, les actions ratées ainsi que les symptômes sont des manifestations de ces désirs inconscients qui échappent au contrôle conscient. Ces expressions montrent comment des désirs refoulés cherchent constamment à émerger, souvent de manière inappropriée ou socialement incorrecte. Il n’est pas rare qu’un rêve, par exemple, révèle un désir sexuel ou violent moralement inacceptable.

Le mouvement du politiquement correct, apparu dans les années 1980 aux États-Unis, vise à promouvoir un langage et des comportements respectueux des différences, notamment en évitant les expressions discriminatoires à l’égard des minorités ethniques, sexuelles ou religieuses. Il s’agit d’une forme d’autocensure et d’intériorisation de normes sociales acceptables, qui cherche à créer un espace public plus unificateur.

Cependant, l’inconscient se révèle fondamentalement imperméable à ces tentatives de régulation sociale. Même chez les personnes les plus progressistes engagées dans la lutte contre les discriminations, l’inconscient entretient sa propre logique du désir qui peut entrer en conflit avec les idéaux démocratiques et égalitaires. Comme l’écrit Jacques André, « l’inconscient du plus démocrate des hommes ignore la parité, l’inconscient de la plus féministe des femmes ignore l’égalité ».

Cette opposition entre inconscient et politiquement correct n’est pas simplement formelle, mais profondément politique. Alors que le politiquement correct cherche à transformer les relations sociales par le contrôle du langage et du comportement, l’inconscient résiste à toute tentative de normalisation ou de moralisation des pulsions. Cette résistance révèle les limites fondamentales des projets de transformation sociale qui ne prennent pas en compte la dimension inconsciente du psychisme humain.

Le deuxième aspect de la citation de Jacques André concerne le caractère « fondamentalement harcelant » de la sexualité humaine. On sait aujourd’hui que la sexualité humaine n’est pas réductible à la reproduction adulte, mais se manifeste dès les premiers stades du développement psychologique infantile, notamment sous une forme polymorphe importante. C’est ainsi que l’enfant, avant l’âge de quatre ans, traverse une période normale de « perversion polymorphe » révélant ainsi une sexualité fondamentalement transgressive et totalement incorrecte. Cette sexualité précoce, comme le souligne Jacques André, « parle hors de propos » et là où elle ne devrait pas parler. Et cette dimension de harcèlement persiste tout au long de la vie, notamment à travers les changements de pulsion de la puberté et de l’adolescence. La puberté réactive les pulsions sexuelles de manière intense, pouvant conduire à des comportements impulsifs, à une hyperactivité sexuelle ou à des comportements à risque. L’adolescence apparaît ainsi comme une période de turbulences où la sexualité peut prendre un caractère envahissant et potentiellement destructeur.

A notre époque, la sexualité contemporaine se caractérise par une certaine libéralisation des mœurs et une multiplication des possibilités d’expériences sexuelles. Parfois, cette liberté est même décrite comme une « sexualité sans limites ». Cependant, elle peut glisser vers des formes d’addiction ou de compulsion, où la recherche de satisfaction devient toujours plus intense et jamais vraiment satisfaite. Le caractère « harcelant » de la sexualité se manifeste alors à travers des comportements ritualisés et obsessionnels, qui échappent au contrôle conscient et révèlent la persistance d’une logique impulsionnelle inconsciente.

La passion romantique illustre de manière paradigmatique le caractère « harcelant » de la sexualité humaine. Elle s’inscrit dans une dynamique régressive qui réactive les premiers stades du développement psychosexuel, notamment le stade oral et le stade narcissique. Lorsqu’elle s’installe chez l’adulte, elle provoque une véritable régression psychologique qui réveille des affects d’origine infantile, comme le besoin de fusion, la peur de l’abandon ou le désir d’incorporation. Cette régression se manifeste par une dépendance affective similaire à celle de l’enfant envers ses parents, pouvant conduire à des comportements de contrôle, de surveillance ou d’attachement.

Dans sa forme la plus pathologique, la passion amoureuse peut évoluer vers un véritable harcèlement fusionnel, où l’autre est investi comme un objet partiel censé combler toutes les lacunes et répondre à tous les besoins. Ce harcèlement passionné révèle en réalité un traumatisme émotionnel original, lié à des déficiences narcissiques précoces ou à des expériences de séparation peu développées.

Dans le domaine littéraire, l’œuvre qui illustre peut-être le mieux cette dimension transgressive de la sexualité est La vie sexuelle de Catherine M. de Catherine Millet, publié en 2001. Dans ce récit autobiographique, l’auteur raconte avec crudité et précision clinique ses expériences sexuelles multiples et variées, de son adolescence à l’âge adulte. Elle expose une sexualité compulsive et répétitive, marquée par une multiplication excessive des partenaires et une recherche constante de nouvelles expériences. Cette sexualité obsessionnelle apparaît comme un moyen de combler un manque fondamental et narcissique, à travers une quête incessante de reconnaissance et de confirmation de soi.

Mais le récit révèle aussi les paradoxes et les contradictions de cette sexualité « libérée ». La narratrice exprime parfois de la haine envers ses partenaires, fait passer son propre plaisir au second plan et recherche la reconnaissance de sa personne tout entière à travers des actions qui la réduisent à un simple corps. Cette ambivalence souligne le caractère fondamentalement insatisfaisant et illusoire de cette sexualité compulsive. L’écriture froide et détachée de Catherine Millet renforce paradoxalement l’impression d’une sexualité mécanique et désaffectée, qui ne trouve jamais vraiment satisfaction.

Dans le domaine pictural, l’œuvre qui illustre cette dimension violente et irrépressible de la sexualité est Suzanne et les vieillards d’Artemisia Gentileschi, peint vers 1610 à l’âge de 17 ans. Ce tableau représente un épisode biblique récurrent, où la chaste Suzanne est surprise dans son bain par deux vieillards lubriques qui tentent de la forcer à des relations sexuelles.

Cette œuvre est particulièrement significative car elle s’inscrit dans une expérience autobiographique douloureuse. L’artiste elle-même a été victime de viol dans sa jeunesse, une expérience traumatisante qu’elle a retranscrit dans plusieurs de ses toiles où l’on retrouve souvent violence et cruauté. Sa représentation de Suzanne montre une femme effrayée et violée, essayant de se protéger de l’agression des deux hommes dont le désir sexuel se transforme en force de contrôle, insensible à sa vulnérabilité.

La force de cette œuvre réside dans son traitement pictural sans concession, qui met en valeur la violence brute du désir masculin et la fragilité de la victime. Les corps sont représentés avec un réalisme brut, soulignant le caractère charnel et prédateur de la scène. L’utilisation de contrastes forts renforce l’impression d’oppression et de menace qui pèse sur une Suzanne effrayée et désarmée.

 
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