Joël a trente ans mais il vit toujours avec sa mère, Mona. Il est « en retard », elle l’a élevé seule. Un jour, le jeune homme rencontre Océane à l’ESAT (établissement de travail protégé réservé aux personnes handicapées) où il travaille. Ils tombent amoureux, attendent un enfant et, malgré leur handicap, revendiquent leur autonomie. Cette histoire est celle de Mon inséparable, le premier long métrage d’Anne-Sophie Bailly, en salles mercredi 25 décembre.
« Dans le film, le handicap fait monter les enjeux mais il n’est pas central, commente le réalisateur. C’est une volonté de ma part. Je voulais intégrer le thème dans une histoire plus large mais je ne voulais pas faire un film « sur ». »
Longtemps mis au ban, le handicap est le sujet central ou secondaire de plusieurs films sortis ces derniers mois. Le scénario de‘Une fanfareréalisé par Emmanuel Courcol et sorti le 27 novembre, confie le rôle à Antonin Lartaud, un handicapé mental, qui joue lui-même. En salles quelques jours plus tôt, En tongs au pied de l’Himalaya, de John Wax, racontait le quotidien d’une mère d’un enfant autiste.
Surtout, 2024 se termine avec le plus gros succès cinématographique de l’année Un petit quelque chose en plusce qui totalise 10,7 millions d’entrées.
Pour tous les goûts et pour tous les publics
Le film d’Artus, mettant en vedette des acteurs handicapés, est devenu le plus gros succès du cinéma français depuis dix ans. Le record reste cependant détenu par Éric Toledano et Olivier Nakache avec Intouchables (2011), inspiré de la vie de Philippe Pozzo di Borgo (interprété par François Cluzet), devenu tétraplégique après un accident de parapente, et de son aide-ménagère (Omar Sy, César du meilleur acteur).
D’autres films notables ont suivi. De rouille et d’os (Jacques Audiard), où Marion Cotillard incarne une dresseuse d’orques qui a perdu ses jambes suite à un accident ; Patients (Grands Corps Malade), sur le quotidien d’un centre de rééducation ; Presqueco-réalisé par Bernard Campan et Alexandre Jollien, philosophe et écrivain atteint de paralysie cérébrale ; ou même La famille Bélier (Éric Lartigau), sur le quotidien des parents malentendants.
Des personnages handicapés ont également été intégrés dans les intrigues de films à succès, comme l’entraîneur en fauteuil roulant incarné par Leïla Bekhti dans Le grand bain ou, plus récemment dans la Palme d’or 2023, Anatomie d’une chute, le jeune fils malvoyant du couple joué par Milo Machado Graner.
« Il y en a pour tous les goûts et pour tous les publicsrésume Aurélie Pinto, sociologue et maître de conférences à l’université Sorbonne-Nouvelle, auteure avec Philippe Mary de Sociologie du cinéma (La Découverte). Certains fondent toute leur stratégie marketing sur la thématique du handicap. Un petit quelque chose en plusreprend par exemple les codes d’une comédie populaire : acteurs connus, affiche colorée… Elle touchera le même public queIntouchables. Pour d’autres, le handicap n’est pas du tout le thème principal mais devient une force motrice dramatique, comme dans Anatomie d’une chute. »
Désir d’inclusion
“Les choses changent un peu en ce moment, devant et derrière la caméra, » reconnaît le scénariste et réalisateur Julien Richard-Thomson (1). Contrairement aux décennies précédentes, il existe une volonté d’inclusion dans le cinéma français. Je remarque surtout que la représentation du handicap dans les films a changé. C’est beaucoup moins caricatural, on en parle de mieux en mieux. Nous sommes passés de visions simplistes à des visions plus complexes et plus nuancées. »
Après des études de cinéma, lui qui souffre du syndrome de Gilles de la Tourette, réalise combien il est difficile de convaincre les producteurs. Avec quelques amis et acteurs, il crée en 2019 le Syndicat des professionnels du cinéma handicapés (SPCH). Si la différence est plus visible à l’écran, derrière la caméra, les choses sont plus compliquées. « Les métiers, comédiens, techniciens, monteurs, mixeurs, doivent s’ouvrir davantageargumente Julien Richard-Thomson. Et pour cela, il faut encourager et encourager les jeunes en situation de handicap. »
Plusieurs travaillent en coulisses pour aller dans ce sens. En 2021, Marie Mingalon crée l’agence Singularist, qui représente « des talents qui incarnent la réalité du monde pluriel ». « À ce moment-là, je savais que plusieurs plateformes très actives sur ces questions, notamment Netflix, cherchaient à s’inclure, c’est-à-dire à faire en sorte qu’un personnage handicapé soit systématiquement joué par un acteur handicapé – ce qui n’était souvent pas le cas. pendant longtemps. Comme ils avaient du mal à le trouver, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. »
Elle assure : « Le jeu d’acteur n’est jamais mis au second plan derrière le handicap : qu’ils soient comédiens valides ou non, nous leur demandons d’être bons devant la caméra. Je dois avoir un béguin. »
De nouveaux métiers
Récemment, trois de « ses » acteurs ont été sélectionnés pour le tournage deUn petit quelque chose en plus. “Ça a déclenché beaucoup de choses”elle admet. C’est aussi un acteur de son agence, Charles Peccia Galletto, qui incarne Joël dans Mon inséparableson premier grand rôle au cinéma. Il fait partie des seize comédiens nominés au César de la percée masculine, une première pour un acteur handicapé.
« C’est certain qu’incarner une personne handicapée quand on est soi-même handicapé est une porte d’entrée vers le cinéma. Mais l’objectif, alors, c’est que le handicap soit oublié, qu’on ne se pose plus la question »adds Marie Mingalon.
Mon inséparable, d’Anne-Sophie Bailly, raconte l’histoire d’un jeune adulte handicapé sur le point de devenir père. / LES FILMS DU LOSANGE
Sur le plateau, le casting d’acteurs handicapés demande de l’adaptation. Pour Un petit quelque chose en plus et Mon inséparableMargault Algudo-Brzostek, coordonnatrice de la gestion du handicap, a travaillé sur le plateau. « Elle veillait à ce que leurs besoins soient respectés, remarquait quand ils avaient besoin de plus de repos que les autres et les aidait à réviser leur texte. Son rôle est nécessaire »soutient la réalisatrice Anne-Sophie Bailly. Le coordinateur, qui a créé ce poste de toutes pièces, souhaite le généraliser.
Vers la banalisation
Ces évolutions profitent également à la télévision, où la représentation du handicap a franchi la barre des 1% en 2023, selon l’Arcom. Un chiffre en augmentation mais qui reste extrêmement faible par rapport aux 16 à 18 % de Français concernés. L’objectif est désormais de normaliser le handicap à l’écran.
« Sur les 1%, une grande majorité des personnages se retrouvent dans la même situation : « Je souffre de mon handicap », ou encore « Je vais surmonter mon handicap en traversant la Manche même sans bras et sans jambes ». Ce qui serait plus intéressant, c’est de ne pas en faire un sujet. On ne voit jamais d’avocats handicapés dans les films alors qu’ils existent dans la vraie vie ! Le cinéma est en retard par rapport à cela. » note Olivier Saby.
En 2019, avec quatre associés bénévoles comme lui, ce haut fonctionnaire fonde Impact Film, une structure d’investissement dans les productions « qui ressemble davantage à la société » – ceux qui intègrent par exemple un personnage handicapé dans leur scénario. « Le cinéma crée des échanges, des sensibilités. Montrer davantage le handicap permet aussi de toucher des spectateurs qui ne seraient pas allés voir un film dont c’est le sujet principal. complète Olivier Saby.
« La représentation du handicap reste exceptionnelle. Je voudrais que le personnage handicapé soit un personnage comme tout le monde, une facette de la diversité humaine »dit Pascale Ribes. La présidente de l’APF France Handicap espère en tout cas que l’effet de mode perdure car elle en est sûre : « Le cinéma a le pouvoir de changer les mentalités. »
(1) À paraître : Inclusion, la bataille des écrans (Jaguarundi).
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Festivals dédiés au handicap
Les festivals invitant le spectateur à ouvrir les yeux sur le handicap se multiplient.
Entre 2 étapes, organisé au printemps en même temps que le Festival de Cannes, présente depuis quinze ans une quinzaine de courts et longs métrages internationaux sur cette thématique.
Perspectives croiséesle premier festival du court-métrage « Métiers et Handicap » rassemble chaque année des milliers de personnes. Elle a été créée en 2009 à l’initiative de l’association Hippocampe, qui œuvre pour l’accès à la culture des personnes handicapées. Sa 16e édition a eu lieu en novembre 2024 à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) et a récompensé 16 films.
Le Festival international du film sur le handicap, créé en 2016, a pour objectif de sensibiliser les plus jeunes (écoliers, collégiens, etc.) Voyageant afin de toucher le plus grand nombre, le festival s’est arrêté cette fin d’année à Sarreguemines (Moselle).
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