“Mardi, j’avais un poids sur les épaules.” L’expression est à prendre au propre comme au figuré, pour la journée marathon vécue le 17 décembre 2024 par Sébastien, détenu de la maison d’arrêt de Brest, embarqué dans une journée de permission tout à fait inédite.
Lorsqu’il a posé le pied à la gare Montparnasse, à 9 heures du matin, l’homme transportait en réalité le chargement d’un paquet de romans devant être dédicacés par leurs auteurs, sous l’égide du Centre national du livre (CNL). Mais surtout le poids de porter la voix des détenus brestois, lancés depuis trois mois dans l’aventure Goncourt des détenus. Et même celui de six établissements de la Direction interrégionale pénitentiaire de Rennes, au moment du choix final et de la remise du prix, remis à Sandrine Collette pour « Madelaine avant l’aube ».
« Discuter dans une forme de normalité »
Pour la troisième année consécutive, la maison d’arrêt de Brest a participé à ce concours lancé en 2022 par le CNL sous le patronage de l’académie Goncourt. C’est ainsi que chaque jeudi après-midi, onze détenus, dont quatre femmes, se réunissaient pour discuter littérature. Inimaginable, il y a quelques mois, pour certains.
« Ce groupe, c’est la diversité dans son expression totale : il n’y a pas les mêmes cultures, horizons, niveaux de lecture et même langues maternelles. Et pourtant, c’est un lieu où chacun a trouvé sa place, avec beaucoup de respect », se félicite l’enseignante Myriam Schwab, qui a encadré les ateliers.
Au fil des semaines, la réunion du jeudi s’est naturellement imposée comme un « moment d’évasion, pour oublier le monde carcéral », selon les mots des participants. Pas seulement une aubaine pour quitter quelques instants l’exiguïté des cellules de 9 m2. Mais l’occasion de « trouver un mix, parler et débattre tranquillement, loin des codes, des choses formelles. Dans une forme de normalité. « Les sujets de discussion en détention sont souvent très terre-à-terre. Pouvoir parler de romans, c’est quand même autre chose ! », note Franck
Le groupe des prisonniers brestois est parmi les tout premiers lecteurs en France à toucher les marque-pages aux couleurs du Goncourt des prisonniers. (Photo Le Télégramme/Pierre Chapin)
“Ce livre me pousse à changer”
Ici, chacun a son œuvre préférée, et peu importe qui gagne à la fin. Tristan
a été particulièrement touché par « Le Club des Enfants Perdus » de Rebecca Lighiori. « Cela me parle, pour mon passé et mon avenir. Dans ce livre, nous avons le point de vue d’un père et de sa fille. Je vais bientôt être papa et dans la fille, je me retrouve quand j’étais adolescente : je comprends mieux ce qu’ont vécu mes parents… Cela m’a beaucoup fait réfléchir. Et cela me pousse à changer.
L’émotion du plus jeune membre du groupe a été transmise à l’auteur. Au point qu’il a reçu quelques lignes de dédicace personnalisées, et Sébastien est revenu de Paris avec le numéro de téléphone de l’écrivain : « Tu peux l’appeler quand tu es dehors », glisse-t-il, jeudi matin, le temps de raconter son parcours.
Maylis de Kerangal a promis de revenir
Une histoire parmi d’autres de cette aventure portée par les livres, qui ne s’achèvera pas avec la clôture du concours et la remise du prix. Maylis de Karangal, venue à Brest il y a quelques semaines présenter son roman au groupe, s’est engagée à revenir au printemps prochain pour participer aux futurs ateliers d’écriture.
Et si la maison d’arrêt de Brest n’est pas retenue pour participer à la prochaine édition du concours, l’année prochaine, qu’importe, selon Myriam Schwab. “En trois ans, nous avons noué des contacts avec la librairie Dialogues, des éditeurs, des associations, etc. Donc nous allons essayer d’arriver à récupérer les livres en sélection, pour continuer, même si nous n’étions plus officiellement impliqués.” Ces prénoms ont été modifié.
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