Emmanuel Levinas pour le verre

Il est frappant que l’un des livres les plus influents de la philosophie française au XXe^e siècle, Totalité et infini. Essai sur l’extérioritéd’Emmanuel Levinas (1905-1995), a été publié chez un éditeur néerlandais, Martinus Nijhoff (1961 ; Pocket book, 1990), Gallimard l’ayant refusé – au grand désespoir de son auteur. Infléchissant la pensée de ses deux mentors philosophiques, Edmund Husserl et Martin Heidegger, Levinas a imposé un tournant éthique à la philosophie de son -. De commentateur, il est devenu un penseur à part entière. Constamment réédité, cet ouvrage n’a cessé depuis d’irriguer les réflexions les plus actuelles. Des notions essentielles y sont développées comme celle de “visage des autres”le visage de l’autre qui m’appelle, même si c’est pour me demander du pain. Des notions qui ont inspiré les théories de la « vulnérabilité » que l’on retrouve par exemple chez la Française Corine Pelluchon ou l’Américaine Judith Butler.

Cependant, au moment où il publiait Totalité et infiniLevinas, sans position universitaire, soutenu uniquement par Jean Wahl (1888-1974), dédicataire de l’ouvrage, se replie dans un isolement culturel qui ne laisse pas présager sa renommée tardive. Objet intempestif, ce livre majeur, destiné à devenir un classique, avait alors des allures de météore dont l’irruption ne fut remarquée que par quelques-uns – le jeune Jacques Derrida, notamment, qui lui consacra un long article. publié sous le titre « Violence et Métaphysique » dans la Revue de métaphysique et de morale (1964). « Il faudra désormais compter avec Levinas »pourtant, aurait dit d’emblée Paul Ricœur après la soutenance de sa thèse dont Totalité et infini était le support, en 1961.

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