Elle vient de Chicoutimi. C’est une Saguenay comme on les aime. Lumineux, avec des convictions, des choses à dire et de la passion. Un grand talent, comme ma mère l’a dit à Alma. Son nom aurait pu être Marie Tremblay et on s’y attendait d’une manière ou d’une autre. Mais elle s’appelle Mélikah Abdelmoumen. Un vrai Abdelmoumen du Saguenay–Lac-Saint-Jean, né en 1972 et élevé dans une famille péquiste. C’est possible, oui.
Mélikah Abdelmoumen publié en 1999 Chair d’assaut, son premier roman. Elle n’a que 27 ans et, bientôt, le destin place sur son chemin un Français dont elle tombe amoureuse et qu’elle décide de suivre en France. Un détour dans la vie qui aura un profond impact sur son existence. La jeune femme arrive dans un pays différent de celui qu’elle idéalisait depuis son enfance, un pays secoué par une crise sociale et migratoire.
A Lyon, son nom et son physique si particulier la placent du mauvais côté de l’Histoire. Même si elle n’a pas la culture et ne parle pas la langue, pour la France, Mélikah Abdelmoumen est arabe. Personne ne l’engage, personne ne veut publier ses livres.
Elle a connu son deuxième choc dans les bidonvilles où elle accompagnait une amie qui avait collecté des vêtements pour les donner aux Roms qui y vivent entassés dans des logements basiques. Elle y voit des enfants sans bottes d’hiver, sans nourriture, sans le minimum. Tout cela dans la opulente Lyon. Elle y reviendra chaque semaine sans se poser de questions, pour aider même si cela n’a pas d’impact significatif tant les besoins sont grands.
Les Roms se méfient d’elle comme des autres gadjis. Elle donne de son - sans compter, elle donne des cigarettes, un peu d’argent. Jamais assez pour les besoins, bien sûr. Il lui faudra du - pour convaincre les Roms de lui faire confiance, car ils se méfient des étrangers, même des bienfaiteurs. Mais pour elle, la France est une histoire d’amour où elle a l’impression de ne pas pouvoir plaire à l’autre. Épuisée, elle rentre chez elle, non sans avoir promis aux Roms d’écrire leur histoire pour récolter des fonds et continuer à les aider. Sans doute ne la croyaient-ils pas.
A son retour, elle reprend son activité littéraire et Douze ans en France paraît en 2018. Comme promis, elle reverse les revenus du livre aux familles roms auprès desquelles elle s’est engagée à Lyon.
A vrai dire, je ne connais pas beaucoup d’écrivains prêts à renoncer de cette manière à leurs droits d’auteur. Même modestes, ils sont le fruit de ce qu’ils ont de plus précieux, leur travail.
Mélikah Abdelmoumen travaille comme rédactrice, elle dirige le magazine Lettres québécoiseselle écrit. Mais elle constate que le Québec a aussi changé. Elle n’est plus perçue comme une écrivaine du Saguenay, mais comme une auteure de la diversité. En 2022, elle publie le très remarqué essai de Mémoire d’encrier. Baldwin, Styron et moioù elle aborde cette délicate question d’identité qui, après l’avoir bouleversée en France, la poursuit désormais jusque chez elle.
Comment pouvons-nous prôner la diversité si nous n’avons pas le droit de parler au nom des autres ? se demande-t-elle. Et comment peut-elle elle-même parler au nom des Arabes alors qu’elle ne porte pas leur culture ? C’est fait avec nuance et intelligence. Le livre qui n’a pas terminé son voyage paraîtra en anglais au printemps.
Après ce long détour, l’automne dernier, Mélikah Abdelmoumen est revenue à ses premiers amours, le roman, avec Petite villeun thriller bien loin des romans à clef à la mode. Le journaliste star Simon James, assoiffé de justice sociale, est retrouvé mort dans le quartier pauvre où il est né. Sa sœur adoptive, Mia, brisée par la vie et la société, porte l’histoire. Elle tente de faire la lumière sur le meurtre.
Ce personnage fragile et fort, à l’humanité à fleur de peau, avance l’histoire au milieu d’un sombre univers dystopique où les élites monopolisent les richesses et où les masses vivent en marge. En banlieue non loin des bidonvilles de Lyon. Une société de classes pas si différente non plus du Québec d’aujourd’hui. L’auteur pointe du doigt les médias complaisants, les chroniqueurs complices qui modulent l’opinion publique au profit de leurs maîtres.
Dans ce monde, le bien et le mal s’affrontent une fois de plus. Vouloir s’en sortir, vouloir transcender les circonstances que la vie nous a imposées est rarement suffisant. Exit le rêve américain à Little Town. C’est peut-être cliché, mais ce n’est pas le cas. L’humanité qui habite le roman lui donne vie et la magie opère. Un grand talent, comme on dirait à Alma.
Petite ville
Mélika Abdelmoumen
Mémoire d’encrier
305pages
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