Un « le mal », pour ne pas dire un « ennemi du genre humain ». C’est ainsi qu’Alain Ayroles définit le marquis de Saint-Sauveur, personnage principal de « L’Ombre des lumières », une succulente histoire dont il a imaginé les contours avec la complicité du dessinateur Richard Guérineau. Un jeune noble égaré, avide et ambitieux, qui utilise ses dons de séduction pour réussir à la cour, dans ce XVIIe siècle qui voit pourtant émerger certains des plus beaux esprits de l’époque. Le deuxième tome sort Saint-Sauveur de sa zone de confort. Direction la Nouvelle-France, au Canada, où poudre et perruques ne servent à rien.
Les lecteurs de « Liaisons dangereuses » ne seront pas dépaysés. Ayroles, qui revendique ouvertement son appartenance, puise dans l’œuvre de Pierre Choderlos de Laclos ce venin profond qui empoisonne l’esprit des Lumières. Et lui emprunte cette structure épistolaire qui lui donne son sel. L’imaginaire du « Ridicule » de Patrice Leconte, un texte brillant de Rémi Waterhouse, imprègne également le récit.
Caractère amoral
« Je voulais vraiment parler de cette période. Mais aussi pour mettre en scène les guerres indiennes. Particulièrement celles du Canada, période riche, complexe et violente, peu traitée par Hollywood », confesse le célèbre auteur de « De capes et de crocs » et du best-seller « Les Indes fourbes », inspiré du roman picaresque « El Buscón ». », qui intéressait déjà un personnage amoral.
Saint-Sauveur se voit donc propulsé dans le monde non policier des colonies, flanqué d’un serviteur cultivé et philosophique, véritable héritier des Lumières, et d’un Indien les pieds sur terre. Avec une seule obsession, remplir les conditions d’un pari pervers, dont il espère rendre grâce et s’acquitter de ses dettes. Il déploie des trésors d’imagination. Avec la part de désastres provoqués par sa méconnaissance du pays.
Ayroles passe avec aisance d’un personnage à l’autre, utilisant leur correspondance pour leur donner la parole à leur tour, dans un ballet finement orchestré. Avec cette remise en question constante. Qui est cette mystérieuse « Mme. de *** » à qui Saint-Sauveur confie ses pensées les plus intimes ? Des sourires. Alain Ayroles n’en dira pas plus.
Couleurs XVIIIe
Richard Guérineau prend le même plaisir à ce jeu de dupe. Le dessinateur, loin du climat fantastique du « Chant des Stryges », se glisse avec délice dans cette histoire historique tordue. « J’ai déjà travaillé sur ce type d’histoire. En adaptant Teulé, notamment avec “Charly 9”, rappelle-t-il. Mais là je découvre une nouvelle époque, le 18èmee siècle. » Son propos devient plus réaliste pour coller à la réalité de l’époque. Avec une attention particulière portée aux couleurs et à la lumière, sa palette évoluant d’un continent à l’autre, tout en respectant la cohérence d’ensemble. Quelle est la prochaine étape ? Un dernier tome pour conclure une trilogie. « Et pourquoi pas, selon l’accueil du public, des albums indépendants formant une série au long cours ? »
« L’Ombre des lumières », T2, « Dentelles et wampum », d’Alain Ayroles et Richard Guérineau, éd. Delcourt. 72 p. 22,95 €.
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