En Côte d’Ivoire, une forme de street art est bien connue de tous les habitants d’Abidjan : les peintures qui ornent les gbakas, ces minibus low-cost, mais aussi certains « Wôrô-wôrô », taxis partagés. Un art pratiqué avec les mêmes techniques que le graffiti, mais dont les automobilistes sont prêts à payer le prix. Reportage chez N’Guess Décor, un des laboratoires de référence de la ville de Yopougon.
Avec notre correspondant à Abidjan, Marino Jeannin
Brahoua N’Guessan, en activité depuis 30 ans, a choisi d’appeler son logement un garage, même s’il n’y effectue aucun dépannage : si une demi-douzaine de gbaka y sont garés en permanence, il ferait bien de leur carrosserie. Une ressource marketing incontournable dans ce secteur très concurrentiel, explique le chauffeur Ibrahim Konaté, qui vient faire repeindre son véhicule deux fois par an. ” Beaucoup de gbaka en ont, hein. Vous êtes vous-même le conducteur, quand vous voyez [la peinture]tu es heureux. J’aime beaucoup ça, et les clients aussi. On dit que c’est mignon, c’est pour ça qu’on fait la déco. Lorsque vous peignez votre voiture, vous attirez des clients. »
Appliquant de la peinture à l’huile au pinceau ou au pistolet, la vingtaine d’employés et apprentis de Brahoua N’Guessan travaillent sur commande. Les motifs les plus en vogue sont les portraits de footballeurs, comme Simon Adingra, la star ivoirienne de la CAN, ou de chanteurs, DJ Arafat ou Fally Ipupa, mais aussi, plus surprenant, de Che Guevara. Presque jamais de politiques en revanche, qui risqueraient de diviser la clientèle. Les chauffeurs peuvent également avoir inscrit leur surnom ou leur devise parmi les plus courantes : « C’est Dieu qui donne », « Maman, merci « Ô » Tout ira bien ».
Un métier informel
Quant aux prix, ils varient selon les modèles, précise le responsable du « garage ». ” Cela dépend des modèles demandés par les clients. Par exemple, si nous devons faire un portrait au dos cela nous coûtera au moins 40 000 francs CFA (61,28 euros). Si on doit décorer entièrement la voiture après le portrait, avec des petits dessins, cela peut coûter environ 50 000 francs CFA. (76,60 euros). Les gens viennent chez nous parce que notre travail est propre, comme on dit. Quand on a fini de peindre, c’est beau à voir. C’est pourquoi nous avons de nombreux clients. »
Le métier est totalement informel, avec de grandes disparités de niveau entre les artistes. Le secret de la réussite de « N’Guess Décor », c’est un apprentissage long et minutieux, souligne Mohamed Camara, qui travaille ici depuis 17 ans. ” Il y a des décorateurs qui sont là, ils n’ont pas un certain niveau, mais ils se lèvent pour faire le mobilier parce qu’on leur dit qu’il y a de l’argent. Sinon, ils ne savent pas faire le travail, mais ils le font, c’est parce qu’ils ont besoin d’argent, c’est tout. Sinon il y a du monde [comme nous]et nous sommes là et nous connaissons le métier. Nous sommes les premiers en Côte d’Ivoire, nous sommes donc toujours présents. Nous avons bien appris notre métier. »
Après plusieurs années de formation, les apprentis quittent généralement l’entreprise pour ouvrir leur propre atelier. Mais Mohamed Camara espère rester dans le « garage » de Brahoua N’Guessan et prendre la place de son maître.
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