Il n’a pas changé, un subtil mélange de charisme, de flegme et d’élégance qui se reflète dans une filmographie exigeante. Le prince charmant de Julia Roberts est inoubliable Jolie femme (1990) de Garry Marshall, Richard Gere, 75 ans, brise son image de sex-symbol Oh, le Canada de Paul Schrader, d’après le livre du même nom de Russell Banks : il incarne Leonard, un réalisateur atteint d’un cancer en phase terminale qui a passé sa vie à fuir ses responsabilités et à se remettre en question alors qu’il est sur le point de mourir. Ce drame sur la mémoire et le regret permet à l’acteur américain de livrer une performance vivante. Entretien lors de son passage à Paris avec une star paisible.
Le JDD. Quand a commencé votre amitié avec Paul Schrader ?
Richard Gere. Cela fait quarante-cinq ans que nous nous connaissons, vous vous en rendez compte ! Il prétend que notre rencontre remonte au Festival de Cannes où je me suis défendu Les récoltes du ciel (1978) de Terrence Malick, mais pour être honnête je n’en ai aucun souvenir. Et cela me paraît impossible car on avait déjà tourné gigolo américain (1980), notre premier long métrage ensemble. Vous voyez, comme mon personnage dans Oh, le Canadama mémoire me joue des tours ! (Rires.) Mais je me souviens qu’il m’appelait quand je louais une petite maison à Malibu : il arrivait quand il n’avait pas besoin de lui.
Il était encore le scénariste de Chauffeur de taxi (1976) de Martin Scorsese ! Il m’a expliqué les faits : il était sur le point de commencer à tirergigolo américainet son acteur principal [John Travolta, NDRL] Je venais de lâcher prise. Il voulait que je le remplace et que je lui donne ma réponse immédiatement. Je lui ai demandé de m’envoyer le scénario pour que je puisse le lire et y réfléchir. Il m’a donné une prolongation jusqu’au lendemain. J’ai généralement besoin de - pour m’engager, mais une fois que je l’ai fait, je vais jusqu’au bout.
Je lui ai dit que j’avais quelques insécurités à l’idée d’être narcissique, ce qui était un bon signe car cela signifiait que je devais travailler pour le comprendre. J’avais conscience que je m’aventurais en territoire inconnu. Déjà au niveau vestimentaire, car je n’ai jamais porté de costume ! Tout s’est passé très vite, mais nous étions fiers du résultat. Nous sommes restés amis. Il nous a fallu beaucoup de - pour nous retrouver. Nous avions chacun nos propres idées, mais elles ne se sont jamais concrétisées.
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Oh, le Canada étais-tu d’accord ?
Absolument. Terrible timing de ma part car mon père venait de décéder alors qu’il était sur le point d’atteindre 101 ans. J’ai vu son esprit s’effacer lentement, il se déconnectait du - et de l’espace qui n’avaient plus de sens pour lui. Mais il était totalement engagé lorsque nous avons parlé. Ses souvenirs ont commencé à s’altérer et à changer, à mesure qu’il se souvenait parfaitement de la trajectoire de son interlocuteur. Je le trouvais parfois désorienté, ne sachant plus ce qu’il faisait là ni ce qui s’y passait, comme s’il était perdu dans un rêve.
« Nous étions donc tous les deux très éprouvés et enthousiasmés lorsque nous sommes arrivés à ce projet »
Finalement je l’ai accompagné aux toilettes, j’ai appris à le déplacer avec une infirmière. J’ai retranscrit ses gestes sur l’écran, j’y ai injecté mon expérience. Quant à Paul Schrader, il était très proche de Russell Banks, l’auteur du roman sur lequel est basé le scénario. À tel point qu’elle l’a accompagné tout au long du processus de chimiothérapie, jusqu’à son décès. Nous étions donc tous les deux très éprouvés et enthousiasmés lorsque nous sommes arrivés à ce projet.
Mais jouez-vous aussi son alter ego ? Parce que c’est l’évaluation d’un réalisateur vieillissant…
Paul Schrader n’est finalement pas si vieux : il a 78 ans, soit trois ans de plus que moi ! Ça veut dire que j’ai l’air jeune, merci pour le compliment. (Rires.) Bien sûr, j’ai une bien meilleure santé que lui [il a été hospitalisé à plusieurs reprises et a frôlé la mort à cause d’un Covid long en 2022]. Ensuite, je réalise que j’entre dans la dernière partie de ma vie. Lorsque nous nous sommes rencontrés, nos carrières respectives étaient en plein essor. Aujourd’hui, nous ne sommes plus des débutants, mais nous apprenons encore. Nous sommes curieux, nous essayons constamment de nous améliorer et de nous tester. Il nous reste évidemment la nostalgie de l’existence que nous avons menée jusqu’à présent et la question de ce que nous réaliserons au fil du -. J’essaie de faire preuve de bon sens.
Mais si tu ressembles à ton père, tu auras cent ans !
OK, je dirai à ma femme qu’elle aura encore vingt-cinq ans pour me supporter ! L’essentiel est de maintenir la santé. Qui sait ce qui va se passer ? Je pourrais très bien sortir du bâtiment et me faire renverser par une voiture juste après notre entretien. (Rires.)
Avez-vous des regrets ?
Oui, si j’ai blessé quelqu’un, si j’ai été cruel. Mais je ne regarde pas le passé. Il faut gommer l’ignorance et la bêtise d’avant, sinon nous n’avancerons pas. Nous avons tous fait des choses dont nous ne sommes pas fiers.
Comment vous êtes-vous transformé physiquement pour le film ?
“Nous avons passé deux mois à déterminer l’apparence de Leonard, nous voulions qu’il soit réaliste malgré le maquillage”
Nous avons passé deux mois à déterminer l’apparence de Leonard, nous voulions qu’il soit réaliste malgré le maquillage. Il a fallu trouver un moyen d’avancer rapidement car le calendrier était serré. Nous n’avions pas les moyens de consacrer trop de - à ces considérations. Je ressemble à mon père, mais bizarrement, je ne l’ai pas vu la première fois qu’on m’a présenté un miroir, maquillé et costumé.
Que pensez-vous de votre personnage ?
Essayez d’être honnête. Il organise ce dispositif de confession devant la caméra, pendant que sa femme l’écoute, pour faire ressortir sa vérité. Mais ses souvenirs ne sont plus fiables… Je me souviens d’une époque où j’étais dans la voiture avec mon père, six mois ou peut-être un an avant sa disparition. Nous roulions de Pennsylvanie vers le nord de l’État de New York. Je conduisais et il était assis à côté de moi sur le siège passager. À un moment donné, il m’a dit : « Vous ai-je déjà parlé de mon fils Richard ? » Je lui ai dit non, parce que je voulais savoir où allait son esprit. Elle a commencé à me raconter les détails de sa relation avec Richard en tant qu’étudiant, qui par ailleurs était mauvaise.
Il a répété qu’il lui donnait beaucoup de conseils et qu’il ne pouvait pas faire le travail à sa place, pour le motiver. Pour moi, ça ne s’est pas du tout passé comme ça ! (Rires.) Tout est une question de point de vue, et c’est ce qu’explore le film. Souvent les événements sont faux, mais les émotions ne mentent pas. Ce que nous vivons demeure et détermine notre nature profonde. Les preuves empiriques n’ont aucun sens. Leonard comprend qu’il a fait de sa vie une fiction, son travail consiste à raconter des histoires avec des arcs narratifs.
« J’ai moi-même 75 ans de sentiments derrière moi. Quand vous regardez ma filmographie, vous avez une vision assez claire de qui je suis.”
Il veut renouer avec sa femme à travers ses aveux. Ce n’est pas tant ce qu’il dit qui compte, mais l’envie de communiquer. Parce que la fin est proche. J’ai moi-même 75 ans de sentiments derrière moi. Quand on regarde ma filmographie, on a une vision assez claire de qui je suis. Je faisais référence à la pièce de Samuel Beckett, La dernière bande (1958), où un vieil homme enregistre ses souvenirs sur cassettes…
Espérez-vous une nomination aux Oscars ?
Non, le film est trop modeste ! Il s’agit d’une production indépendante, rappelez-vous. Peut-être que Paul Schrader a plus de chances que moi d’en obtenir une pour son scénario.
Quelques mots sur L’Agencel’adaptation américaine de Bureau des légendes ?
J’ai déjà vu toute la série française avec ma femme. Je suis devenue complètement accro ! Nous avons trois jeunes enfants, donc à 21 heures je suis au lit et nous pouvons enfin nous détendre devant la télé. Nous sommes épuisés et n’avons plus la force de nous lever du canapé… J’ai reçu la proposition de cette transposition en anglais, cela m’a intéressé car j’ai trouvé l’original génial. Nous venons de terminer le tournage des dix épisodes de la première saison il y a trois semaines. Il a commencé à diffuser aux États-Unis sur Paramount+/Showtime [prochainement en France sur Canal+].
L’action se déroule dans le bureau de la CIA à Londres : je dirige l’agence et Michael Fassbender est infiltré sur le terrain. Il fait le plus dur, c’est facile pour moi ! J’avais déjà essayé la série de huit épisodes en 2019 pour MèrePèreFils sur la BBC. Je préfère quand même le format de deux heures pour raconter une histoire, parce qu’après on passe à autre chose. En tant que téléspectateur, j’adore regarder en frénésie ; par contre, sur le plateau, le rythme de travail est long et fatiguant.
D’autres projets ?
Un documentaire sur le Dalaï Lama, Sagesse du bonheurque j’ai coproduit et présenté au Zurich Film Festival. Il est sorti en Suisse, pays des réalisateurs Barbara Miller et Philip Delaquis, en Allemagne et en Autriche, et est toujours en vente dans le reste du monde. J’en suis très fier. Nous avons trouvé des images extrêmement rares de Sa Sainteté de tous âges depuis l’âge de 2 ans ! Il ressemble à une rock star. Ils l’ont interviewé avant le Covid, il garde le regard fixé sur la caméra, à tel point que cela ressemble à un entretien privé et nous livre ses leçons sur la façon de construire une société gouvernée par la paix. Le monde est devenu fou, avec ces guerres qui n’ont aucun sens. Le message est plein d’espoir, d’amour et de compassion. Je l’ai rencontré plusieurs fois, je me sens très privilégié.
Oh, le Canadade Paul Schrader avec Richard Gere, Uma Thurman, Jacob Elordi. &h 35. Sortie mercredi
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