A la veille du cessez-le-feu au Liban et sous d’intenses bombardements, le festival s’est déroulé du 26 au 30 novembre à Beyrouth. Il y avait des réalisateurs et du public. Retour sur une édition en plein chaos.
Di Apolline Convain
Publié le 5 décembre 2024 à 12h41
CLe 26 novembre, il était 16h43 lorsqu’Avichay Adraee, le porte-parole arabophone de l’armée israélienne, a menacé de frapper l’ensemble du territoire libanais. Deux heures plus tard, alors que les raids aériens pilonnaient le centre de la capitale, Sam Lahoud entamait le discours d’ouverture de la 18e édition du Festival international du court-métrage de Beyrouth au Théâtre Élysée, niché sur les hauteurs d’Achrafieh, un quartier cossu de la capitale. “Espérons que la guerre se termine” » répète le directeur de l’événement à plusieurs reprises. Dans la salle tamisée, les applaudissements ne parviennent pas à couvrir le bourdonnement des drones et le hurlement des sirènes des ambulances. Malgré tout, deux cent soixante-dix personnes ont assisté à la cérémonie.
“C’était un moment surréaliste” souriait quelques jours plus tard Sam Lahoud, également musicien, écrivain, professeur et réalisateur. Son association Beirut Film Academy, fondée en 2007, organise ce festival chaque année fin novembre. Malgré les bombardements de la nuit du 26 au 27, les plus intenses qu’ait connu Beyrouth en deux mois de conflit entre Israël et le Hezbollah, il a tenu à maintenir la cérémonie d’ouverture, très attendue par les réalisateurs. Preuve de la résilience du septième art libanais.
Durant cinq jours, quatre-vingt-douze films étaient en compétition dans quatre catégories différentes, dont la officielle. Il faut dire qu’en 2024 le festival est entré dans le cercle restreint de ceux qualifiés pour les Oscars. Une première au Liban. Ce samedi 30 novembre, l’événement s’est conclu par une remise de prix dans la grande salle du théâtre. Lorsque Chris Akoury, 24 ans, apprend qu’il a remporté le trophée « Choix du public » dans la catégorie officielle, la fierté de celui qui a travaillé dur pour réaliser son rêve imprègne ses yeux bleus perçants.
Avec les conflits, nos cerveaux sont occupés à pleurer les êtres chers que nous avons perdus et à se demander quelle est la prochaine étape… Il est difficile de laisser place à l’art et à l’imagination.
Chris Akoury
Tout de blanc vêtu, casquette vissée sur la tête, le natif de la ville côtière de Batroun n’en revient pas. « Il faut imaginer ce que ça fait d’être réalisateur au Liban. » Il prend une gorgée de champagne avant de poursuivre : « Il y a d’abord l’aspect financier… » Dans un pays où l’État est resté exsangue après quatre ans de crise, le secteur culturel ne bénéficie d’aucune aide. Chris Akoury a dû financer ses travaux de sa poche, à hauteur de 2 000 dollars. Titré La fourmi qui a traversé mon carnet de croquis (« La fourmi qui a traversé mon carnet de croquis ») est “un court métrage très personnel, qui parle du deuil après la perte d’un proche”, explique.
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Le chaos de la guerre affecte également sa créativité. « Pendant un conflit, notre cerveau est occupé à pleurer les êtres chers que nous avons perdus et à se demander ce qui nous attend… Il est difficile de laisser la place à l’art et à l’imagination. » Depuis le début des hostilités entre Israël et le Hezbollah, le 8 octobre 2023, 4 047 personnes sont mortes et 16 638 ont été blessées, selon les dernières estimations du ministère libanais de la Santé ; 1,5 million de personnes ont également été déplacées.
Pourquoi rester dans un tel contexte ? « Je pourrais aller travailler à l’étranger, mais c’est bien plus logique d’être réalisateur ici. » soupire Chris Akoury en regardant ses parents et amis venus l’entourer. Une phrase qui fait sourire Sam Lahoud, à quelques pas de là : « Beaucoup de jeunes veulent quitter le Liban, il le regrette. Nous souhaitons, à travers ce festival, rappeler le rôle d’une génération de jeunes cinéastes capables, de par leur position géographique, de parler à la fois à l’Orient et à l’Occident. » Un rôle qui consiste à rassembler les différentes communautés d’un pays divisé par la guerre ; aborder les problèmes sociaux que les conflits, les crises et le traditionalisme culturel occultent.
Au moins deux cents personnes par jour
Lors de cette 18ème édition, le jury de la compétition officielle a sacré le court métrage de Hadi Moussally, résident en France depuis 2005. Son film Honte (« Honte ») remet en cause les jugements qu’une partie de la société libanaise porte sur la communauté LGBT. L’auteur est né à Tripoli, ville conservatrice du nord du pays. “J’ai grandi en me disant “honte à toi si tu fais ceci ou cela”, souviens-toi. J’ai ressenti une pression sociale constante, même si je venais d’une famille ouverte qui m’a soutenu dans l’expression de mon identité queer. » Bien que l’homosexualité ne soit pas explicitement criminalisée au Liban, l’article 534 du code pénal la punit « tout rapport sexuel contraire à l’ordre de la nature » d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à un an. Cette législation entraîne une discrimination au quotidien. Avec son film, Hadi Moussally veut démontrer qu’aucun sujet n’est tabou : « J’ai été tellement touché qu’il ait été sélectionné et récompensé ici ! »
Chaque jour, au moins deux cents personnes assistaient au Festival international du court-métrage de Beyrouth. Un chiffre réduit de moitié par rapport aux années précédentes, mais qui reste encourageant, selon les organisateurs. Preuve que malgré la guerre le cinéma conserve une place centrale. Et cela, Sam Lahoud ose l’espérer, « La joie et la chaleur humaine ont encore leur place malgré les bombes ».
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