Mercredi 27 novembre, le rendez-vous parisien du célèbre musicien de jazz américain a été interrompu par une femme perturbée par l’affichage d’un symbole politique. Le concert n’a pas pu reprendre malgré l’intervention de la police. Explications.
Par Anne Berthod
Publié le 29 novembre 2024 à 18h17
M.En octobre dernier, un drapeau palestinien brandi sur scène avait conduit le propriétaire du Café de la danse à Paris à exclure officiellement les artistes israéliens et palestiniens de sa programmation – une mesure extrême et controversée qu’il a annulée le lendemain. Mercredi 27 novembre au soir, c’est un keffieh suspendu au micro d’un musicien qui a semé la zizanie lors du récital de Dee Dee Bridgewater à l’Espace Carpeaux de Courbevoie (Hauts-de-Seine), provoquant l’interruption et l’évacuation de cinq cents spectateurs par le police municipale.
La tournée européenne du chanteur et pianiste de jazz américain, venu présenter un répertoire de chansons de protestation avec son quatuor féminin (le bien nommé We Exist !), s’est jusqu’à présent déroulé sans accroc. Chaque soir, Rosa Brunello, la contrebassiste italienne du groupe, accrochait au pied du micro un keffieh, le grand foulard arabe traditionnel devenu l’emblème de la cause palestinienne. Le public n’a jamais semblé ému.
Le concert du 27 novembre, à Courbevoie, était la dernière des dix-sept dates françaises de Dee Dee Bridgewater. Mais alors que la diva de 74 ans chantait depuis une bonne quarantaine de minutes, une dame de sa génération assise dans le public l’insulta soudain pour la présence ostentatoire du carré de tissu noir et blanc, déclarant qu’elle était dérangée par la performance d’un tel symbole politique. Dee Dee Bridgewater allait chanter de manière très militante Mississippi, bon sang, de Nina Simone : un hymne de la colère noire, écrit en 1963, en réponse à la ségrégation et à une série de meurtres racistes dans le Mississippi et l’Alabama.
Cette dame avait le droit d’exprimer sa désapprobation mais elle est allée trop loin en prenant en otage une pièce entière.
China Moses, fille de Dee Dee Bridgewater
L’apostrophe du spectateur, alors qu’elle venait d’expliquer le contexte très politique de la chanson, l’a prise par surprise, mais le musicien a répondu calmement, en français, rappelant que dans un pays comme la France, surtout dans un lieu de culture, chacun est libre. de s’exprimer et il n’était pas en mesure de limiter le droit de parole de son musicien. Elle reprend sa chanson, soutenue par le public qui se met à applaudir pour l’encourager. Fatigué! Les spectateurs avaient réprimandé la fauteuse de troubles et elle, au milieu des huées, a repris ses insultes avec encore plus de force.
Soucieuse de ramener le calme, Dee Dee Bridgewater a fini par demander à son contrebassiste de lui retirer son keffieh. Le musicien l’a immédiatement détaché, mais ce geste de bonne volonté n’a pas suffi à calmer le spectateur ni à désamorcer la spirale. Car dans cette démarche, le directeur artistique de l’Espace Carpeaux, Philippe Lignier, a cru bon de prendre le micro. Sans doute cherchait-il avant tout un compromis, mais dire, sur le fond, qu’un concert n’était pas destiné à se transformer en forum politique était pour le moins maladroit.
Dans la pièce, la fille de Dee Dee Bridgewater, la chanteuse soul China Moses, a bondi. « J’aime beaucoup Philippe et dans sa panique ses paroles dépassaient certainement ses pensées, mais je ne pouvais pas le laisser le dire sans réagir. » A son tour, l’Américaine, chanteuse soul, actrice et animatrice radio de TSF Jazz, est montée sur scène pour exprimer son désaccord. « Un keffieh est un signe culturel, qui a sa place dans un lieu de culture. Mais il doit aussi rester un espace de liberté, y compris politique. Cacher la dimension politique de la musique de ma mère serait nier toute sa carrière. »
“Cette dame avait aussi le droit d’exprimer sa désapprobationcontinue China Moses, mais il a dépassé les limites en prenant une pièce entière en otage. » Car ni China Moses, ni la réalisatrice de Dee Dee Bridgewater, ni même son mari n’ont pu raisonner le spectateur. Isolée, de plus en plus agitée, elle a résisté par de nombreux gestes lorsque les agents de sécurité voulaient qu’elle quitte les lieux. Philippe Lignier a finalement appelé la police, qui s’est montrée également impuissante à contraindre cette dame âgée. Le reste du public a été évacué. Le septuagénaire, seul au milieu de la tribune, est resté assis près d’une heure avant de s’éloigner.
Il était impossible de reprendre le concert par la suite. « L’interruption définitive a été décidée d’un commun accord avec Dee Dee Bridgewater, Gérard Drouot Production et la municipalité. » précise Sandrine Peney, députée à la Culture de Courbevoie et présidente de CourbevoiEvent, l’entreprise publique locale dont dépend l’Espace Carpeaux. Les spectateurs, majoritairement abonnés, seront tous remboursés. Le fauteur de troubles sera banni des lieux.
Mais sur la question du keffieh, le flou demeure. Au Café de la danse, une clause dans les contrats de location de la salle l’interdit désormais toute « manifestation politique » sur scène, qu’il s’agisse d’un drapeau ou du symbole d’un pays. Dans la commune de Courbevoie, Sandrine Peney n’envisage pas, en principe, de censurer un artiste. Prudente cependant, elle voudrait éviter, à l’avenir, « se retrouver devant le fait accompli », encourager les producteurs de concerts à “entraver” d’éventuelles manifestations politiques. Une réponse ambiguë, qui soulève d’interminables questions.
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