C’est une statuette en terre cuite trouvée en 2002 dans une tombe d’un quartier de Chang’an (l’actuelle ville de Xi’an) qui résume peut-être le mieux l’atmosphère cosmopolite de la florissante dynastie Tang qui régna pendant près de trois siècles sur le vaste territoire de le Moyen-Orient. Royaume. Coincé entre les deux bosses d’un chameau fier, la gueule ouverte, un homme apparemment originaire de Perse ou d’Asie centrale et doté d’une barbe épaisse, d’un turban, d’une robe à revers et de bottes pointues s’apprête à frapper le tambourin qu’il porte accroché à sa poitrine. .
Témoins d’un monde foisonnant
Sans aucun doute… Nous sommes en effet transportés au cœur de ce long chemin de terre et de sable justement appelé « Route de la Soie » et par lequel transitent depuis des siècles les hommes, les biens, les techniques, les idées et les religions. Pour s’en convaincre, il suffit d’admirer ce petit monde de soldats, palefreniers, musiciens, danseurs, acteurs burlesques et acrobates exhumés par milliers des tombes chinoises, et qui reflètent, plus que tous les longs discours, l’atmosphère cosmopolite et colorée de caractère de cette société profondément ouverte sur l’extérieur…
Artiste burlesque, Gansu, 730, terre cuite peinte, 48 cm ©Qingcheng, Musée du district de Qingcheng.
Loin d’être une civilisation repliée sur elle-même, la Chine Tang était en réalité un formidable creuset d’échanges économiques, artistiques et spirituels. Plaque tournante du commerce entre les royaumes de l’Ouest et de l’Est, ses capitales jumelles, Chang’an et Luoyang, étaient alors les deux plus grandes villes du monde, et leurs élites dirigeantes allaient, à bien des égards, pousser la société chinoise vers une nouvelle ère de « mondialisation ». et « modernité ». « Sous la dynastie Tang, la Chine était un espace qui attirait, mais pas seulement : elle rayonnait »résume Christophe Decoudun, spécialiste des arts bouddhiques, dans le catalogue de l’exposition du musée Guimet.
Porte-encens à décor ajouré d’oiseaux et de rinceaux floraux, Shaanxi, IXe siècle, argent doré, 18 x 5,8 cm ©Famen Zhen, Famensi Museum.
Prouesse technique et hybridation des formes
Il faut donc imaginer ses mégapoles regorgeant de foules de commerçants, d’artisans et de pèlerins venus de Bagdad, Boukhara, Samarkand ou Constantinople emportant dans leurs bagages leurs modes de vie, leurs savoir-faire et leurs croyances. En arrière-plan de rythme sinica (période de stabilité et de paix qui règne sur toute l’Asie de l’Est), les affaires prospèrent alors et presque tous les biens les plus rares et les plus précieux convoités par les grands de ce monde s’échangent : de la soie sûre, si légère et si voluptueuse, mais aussi semi- pierres précieuses, métaux et bijoux, sans oublier les animaux exotiques, les épices et les plantes pour les pharmacopées. Parvenant, grâce à son plan en damier, à contenir 1,2 million d’habitants, la ville de Chang’an regorge d’odeurs et de parfums, et attire dans ses bazars et entrepôts les meilleurs experts et commerçants venus de Perse, d’Arabie, d’Inde et d’Asie centrale. « Le marché occidental disposait de nombreuses variétés d’encens, un produit particulièrement apprécié des Chinois. Il accueillait un bazar persan où se retrouvaient, entre autres, les connaisseurs de perles et de jades. Ces experts en pierre étaient principalement originaires d’Asie centrale et conseillaient les habitants chinois de la ville. Un secteur en particulier s’est rapidement transformé en un quartier de bijoutiers et d’orfèvres : toutes des proto-banques dirigées pour la plupart par des Turcs ouïghours.précisent les deux commissaires Arnaud Bertrand et Huei-Chung Tsao.
Personnage étranger, 730, terre cuite peinte, 54 cm ©Qingcheng, Musée du district de Qingcheng.
Il est souvent très difficile d’attribuer une cruche ou un bijou à un artisan chinois ou étranger, tant le style Tang est né justement de ce goût pour l’amélioration des matériaux et l’hybridation des formes. Découvertes en 1991 dans la tombe de Dame Wu de l’État de Qi, une tasse et une soucoupe en argent doré utilisées pour préparer le thé (boisson qui connut alors son premier essor) rappellent des pièces d’orfèvrerie produites en Perse et en Sogdiane (région qui comprend une partie de l’Afghanistan, de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan actuels).
Grand bol à couvercle fleuri, Shaanxi, VIIIe siècle, vermeil, 9,5 x 21,8 cm ©Xi’an, Musée d’histoire du Shaanxi.
Au contraireLes artisans chinois rivalisaient d’inventivité dans le domaine de la céramique. En fait, c’est sous la dynastie Tang que naissent les expérimentations techniques les plus virtuoses, comme l’invention de la porcelaine blanche d’une incroyable pureté, la délicatesse du cétadon et ses nuances exquises, ce qu’on appelle la céramique. Sancaï au décor émaillé « tricolore », ou encore en porcelaine blanche et bleue promises à un tel succès à long terme…
Réservées aux fonctionnaires des trois premiers rangs, les ceintures de jade étaient aussi prétexte à des compétences techniques, comme cet exemplaire retrouvé en 1991 dans la tombe de Dou Jiao (597-627), cousin de l’empereur Taizong. Insigne de pouvoir autant qu’accessoire d’ornement, ce bijou allie à merveille la taille d’une pierre dure, la granulation de l’or et la fabrication de verre coloré imitant les pierres précieuses.
Une esthétique du féminin
Mais s’il est un thème cher aux poètes et artistes de l’époque Tang, c’est bien celui de la femme, présentée sous ses multiples facettes. Alors comment ne pas être fasciné par ces fascinants musiciens en terre cuite qui jouent de la flûte, de l’harmonica ou de la lyre pour l’éternité ? Et comment interpréter ces danseurs gracieux “manches longues” dont les chorégraphies célestes sont désormais figées derrière les vitres d’un musée ? Plus délicieuses encore apparaissent ces cohortes de princesses, de dames de cour et de concubines aux visages et chignons lunaires. “lame de sabre” Ô “spirale”. Comme tirés d’un magazine de mode, leurs vêtements et coiffures semblent poser un défi à toutes les coquettes de la planète !
Figure féminine, Henan, 709, terre cuite à couverte tricolore (sancai), 39 x10 x 9 cm ©Luoyang, Musée de Luoyang.
« La cour est également caractérisée par une culture féminine, les femmes jouissant d’une liberté inégalée par les autres dynasties sous les Tang. Vers la fin du VIIIe sièclee et le 9e siècle, les femmes deviennent des héroïnes dans des productions narratives et poétiques, au lieu d’être simplement des exemples de vertu.analyse la sinologue Yolaine Escande. Parmi les plus belles « pépites » de l’exposition, on admirera notamment les figurines de joueurs de polo capturées sur le vif, ou encore un inquiétant chevalier coiffé d’un chapeau. Weimao et un voile… qui semble surgi de notre Moyen Âge occidental.
Le grand compositeur et chef d’orchestre chinois Tan Dun proposera au Musée Guimet les 13, 14 et 15 décembre, une création mondiale inspirée de la dynastie Tang et des célèbres manuscrits découverts par Paul Pelliot dans les grottes de Mogao à Dunhuang. Billetterie en ligne et sur place.
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