Le documentaire Kaizen du YouTubeur français Inoxtag, qui raconte sa préparation à l’ascension de l’Everest pendant un an, a suscité de nombreuses réactions, pour la plupart positives. On peut cependant à juste titre s’interroger sur l’appel abusif au dépassement de soi, qu’il s’applique à lui-même dans le documentaire et qu’il tente de promouvoir auprès des adolescents de sa communauté.
La plupart de ses quelque 20 millions d’abonnés ont en effet salué l’exploit et les résultats personnels obtenus par le jeune YouTubeur français. Ce faisant, il le reconnaît comme un véritable « prescripteur culturel ».
D’autres, plus critiques, ont souligné l’éclair de sa réussite entrepreneuriale, mais aussi l’exploitation de certaines valeurs, comme le sport, au service d’un discours méritocratique. D’autres encore lui ont reproché de vendre « un imaginaire de ressources illimitées alors que nous avons un impératif environnemental de sobriété ».
En tant que professeur et spécialiste en intervention et communication organisationnelle à l’Université du Québec à Montréal, j’aimerais discuter de la dangereuse mauvaise direction du dépassement de soi ou de l’amélioration continue (également connue sous le nom de Kaizen comme pratique d’amélioration de la performance dans l’organisation). dans le mode de vie.
Un projet important
Inoxtag a une influence impressionnante dans la transmission de ses messages. L’ensemble de ses plateformes numériques comptent plus de 20 millions d’abonnés. Parmi eux, sa chaîne YouTube est la plus importante, avec 8,66 millions d’abonnés.
Son récent documentaire, « KAIZEN : 1 an pour gravir l’Everest ! » » a aussi de quoi séduire. Destiné à un public composé majoritairement de jeunes adolescents, le documentaire transmet un message positif où l’accent est mis sur le « dépassement de soi ».
Il existe également des ressources matérielles, humaines et financières. En plus de documenter toutes les étapes de son aventure, Inoxtag a gravi l’Everest accompagné de ses amis, dont la participation a coûté chacun plus de 75 000 dollars.
Le montage est précis tandis que les images sont à couper le souffle. Les moments d’introspection se veulent spontanés et sincères, la publicité a un impact subtil mais efficace. Bref, le documentaire a quelque chose qui fascine et fait rêver.
Kaizen : une définition tronquée
Le documentaire, d’une durée de 2 heures et 26 minutes, s’intitule « Kaizen ». Cependant, ce n’est qu’à la fin que l’on apprend la définition.
Le mot japonais composé de [Kai]qui signifie « changement », e [Zen]qui signifie « pour le meilleur » ou « mieux », désigne depuis les années 1950 une démarche d’amélioration continue au service du management. Désigne la volonté d’améliorer stratégiquement l’excellence manufacturière dans des environnements ultra-compétitifs.
Si ce processus concernait initialement le secteur manufacturier, il s’est progressivement étendu dans l’après-guerre à d’autres secteurs, comme les services ou l’administration publique. Depuis, on assiste à un détournement du terme, qui désigne peu à peu une attitude qui sacralise la performance comme un horizon indépassable.
Instrumentalisation du Kaizen
Le Kaizen, en tant que pratique d’amélioration de la performance dans une organisation, répond avant tout à la tentative d’élimination du gaspillage. Elle s’inscrit ainsi dans la philosophie de gestion appelée Lean, qui consiste à « toujours faire plus avec moins ». Kaizen invite les employés de l’organisation à comprendre comment la situation pourrait être améliorée, à concevoir des pistes d’amélioration, à contribuer à l’élaboration de solutions et à leur mise en œuvre.
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Cependant, ce « bloc de sens » de l’amélioration continue sert avant tout les intérêts de l’organisation et non ceux des personnes qui la mettent en œuvre (généralement les personnes employées par l’organisation). Dans ce cas, l’amélioration continue agit à deux niveaux. Premièrement, cela profite à Inoxtag lui-même, qui utilise l’amélioration continue comme mantra qu’il distille périodiquement à sa communauté. Ensuite, même si de manière plus subtile, cela sert les partenaires commerciaux du YouTubeur, qui gagnent en visibilité et en publicité en rendant son aventure possible.
On assiste donc à une esthétisation de la performance totale, le nouvel esprit du capitalisme.
Le corps comme scène d’amélioration continue
Pire encore, le corps, par son activité physique de dépassement de soi, devient l’objet de cette amélioration continue. La représentation du corps souffrant et se dépassant pour gravir l’Everest esthétise l’amélioration continue, la rendant désirable.
En plus d’être fortement et socialement intériorisée et prescrite comme « positive » (qui ne voudrait pas s’améliorer ?), l’amélioration continue me semble que dans ces conditions elle peut se transformer en une quête insatiable qui crée souffrance et épuisement. Après tout, on ne peut faire que ce qu’un corps peut faire.
Elle renvoie également à la responsabilité exclusive de l’individu, excluant volontairement toute dimension matérielle, relationnelle et sociale. Dans quelle mesure les conditions matérielles d’existence permettent-elles à une personne de relever un défi ou de démarrer un « projet » ? Est-il possible d’avoir ce type d’ambition sans être solidement entouré (parents, mentors, amis, références marquantes en tout genre) ?
Questionner l’amélioration continue
Dans son documentaire, Inoxtag tient des propos qui font directement référence à l’amélioration continue : « Je veux être un homme nouveau », « chaque jour être meilleur qu’hier », dit-il par exemple. En naturalisant cette amélioration continue comme irréfutable et en l’élevant au rang de fait anthropologique nouveau, on court le risque d’élever l’hyperperformance au rang d’unique but existentiel sans se demander si elle a encore du sens.
Je comprends que l’on puisse être positivement affecté par ce type de message et les valeurs qu’il prétend incarner, comme le courage, la persévérance et le dépassement de soi. Je comprends également qu’on peut éprouver un grand plaisir physique à vivre selon ses valeurs.
Cependant, cet enthousiasme pour l’amélioration continue révèle en toile de fond les effets toxiques d’une structure capitaliste qui valorise et valide cet enthousiasme (à la fois sur le plan social, organisationnel et individuel) jusqu’à l’épuisement, jusqu’à ce que le corps n’en puisse plus. prends-le.
Il faut donc radicalement remettre en question cette « fausse évidence » et réaffirmer avec force que le dépassement de soi comme amélioration continue est d’abord le symptôme d’une jouissance individuelle, silencieuse et destructrice, qui asservit moralement plutôt qu’émancipe, même si ses apparences clinquantes sont agréables à regarder. contempler, voire imiter.
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