Entre 1872 et 1873, Gustave Courbet et Mathilde Carly échangent 116 lettres à contenu érotico-pornographique. Découverte dans les combles de la bibliothèque de Besançon (Doubs), cette correspondance inédite sera prochainement exposée.
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La pile de papiers gisait parmi des archives sans valeur dans le grenier de la bibliothèque de Besançon (Doubs). En novembre 2023, un bibliothécaire l’a découvert par hasard. Les lettres ne sont pas signées. Mais il comprend immédiatement l’importance de sa découverte.
Il tient entre ses mains la correspondance secrète de Gustave Courbet et de Mathilde Carly de Svazzena, une amoureuse de la correspondance que le peintre finit par condamner. 116 missives, écrites en l’espace de cinq mois seulement et dont le vocabulaire pour le moins explicite rendrait fou.
91 lettres de Mathilde, 25 de Courbet. Des échanges connus, mais longtemps considérés comme perdus. Pourquoi des documents aussi précieux ont-ils été mis au grenier ? Étaient-ils si choquants qu’on voulait les oublier ?
C’est ce qu’assume la Bibliothèque d’étude et de conservation de Besançon. Ses employés ont passé six mois à retranscrire les lettres et à retracer leur itinéraire. Selon les recherches, la correspondance érotique aurait été léguée à l’exécuteur testamentaire de Gustave Courbet après la mort de l’artiste en 1877. Avant de mourir lui-même en 1906, cet homme les envoya ensuite à la bibliothèque bisontine.
Puis, mystère jusque dans les années 1950, lorsqu’un conservateur de l’époque (qui ne donne pas son nom) dépoussiéra ce trésor. Nous le savons car il a laissé une note au-dessus de la pile de lettres, expliquant qu’il (nous ne savons pas non plus qui) lui avait demandé de ne pas les publier. Laisser la pile de papier abandonnée pendant encore quelques décennies.
« Ce secret a été gardé par trois générations de conservateurs. Et ce dernier n’a pas transmis le secret à son successeur.”commente le directeur des bibliothèques et archives municipales Henry Ferreira Lopes. “Ils ont fait en sorte que nous ne soyons pas informés, volontairement, par crainte de scandale”. En cause, certes : le contenu des lettres et la nature de cette relation, longtemps considérée comme déshonorante par les descendants du peintre.
La correspondance commence à l’été 1872. Mathilde Carly de Svazzena écrit la première. Née en 1839 à Orléans, mariée à un Anglais, elle est décrite comme “un aventurier” sur Thierry Savatier. « Elle a été rapidement présentée comme une chasseuse d’hommes à la mode »» l’écrit encore le spécialiste de Courbet dans son ouvrage « L’origine du monde ».
Elle explique au peintre qu’elle l’a vu et admiré lors de la Commune de Paris, ce mouvement insurrectionnel du printemps 1871. Il ne se souvient pas d’elle. Mais un échange s’engage entre les deux qui tourne bientôt vers les questions sexuelles.
“Tu sais que je donnerais n’importe quoi en ce moment pour te sucer la chatte, mordre tes cheveux dorés, ta motte et dévorer tes gros tétons pointus, décharger dans ta bouche (…)”dit le peintre dans une de ses lettres.
Tu devrais croire, bon gré mal gré, toute ma tendresse pour toi. Et si je te tenais, je te baiserais jusqu’à ce que ça fasse mal.
Lettre de Gustave à Mathilde
Des avant-premières auxquelles Mathilde Carly de Svazzena surpasse : “J’aurai ma chatte prête à recevoir la sensation que vous voulez qu’elle ressente.”.
Toute cette correspondance n’était pas secrète. Certaines des lettres écrites par Mathilde à Gustave ont déjà été publiées. Mais ces lettres ont été écrites à la fin de leur relation et ne contenaient aucun contenu érotique.
Cette découverte révèle une fois de plus, cette fois, les missives écrites par Courbet. Et si les lettres du peintre sont habituellement chères sur le marché, celles-ci sont d’autant plus précieuses qu’elles révèlent une face plus intime du peintre et de l’homme.
Juliette [Courbet] il prit soin d’éliminer tout ce qui pouvait endommager la mémoire de son frère. On connaissait le côté scandaleux de l’homme mais ces témoignages avaient disparu. Nous disposons aujourd’hui d’une objectivation de ce que nous soupçonnions mais que nous n’avions pas les moyens de prouver.
Pour Frédérique Thomas Maurin, spécialiste de Courbet, ces lettres ne doivent cependant pas conduire à considérer l’artiste comme « dur et brutal ». Au contraire, selon elle, ils le prouvent “sa vision moderne de la sexualité” Et “il écrit à plusieurs reprises que donner du plaisir à son partenaire sexuel est la chose la plus importante pour lui”.
D’autant que ces écrits ne sont pas qu’érotiques. Mathilde Carly de Svazzena parle aussi d’une vie qu’elle qualifie de malheureuse. A plusieurs reprises, Courbet démontre “tendresse” et décrit ses tourments en détail.
Le peintre est fragile en ce moment. Condamné à rembourser la colonne Vendôme après un passage en prison, il s’exile. A presque 60 ans, Courbet ne désespère pas de trouver une compagne de vie, qu’il semble chercher en Mathilde, dans ses lettres.
“Courbet a toujours recherché l’union complète d’une femme qui soit à la fois muse, amante et confidente”s’entretenir avec Henry Ferreira Lopes. “On l’entend dans ces lettres”ce qui selon lui montre « une grande sensibilité derrière le graveleux ».
Quelle déception pour l’Ornanais donc de comprendre que Mathilde compte le tromper. Pour récolter des fonds, l’artiste aurait envoyé ses tableaux à la vente, mais n’aurait pas vu l’argent lui être rendu.
Comprendre que Mathilde veut son argent, au point de l’appeler “cette sale femme” dans une lettre à un proche, Courbet emmène Mathilde à Besançon en juillet 1973. Là, elle est condamnée et emprisonnée quelque temps pour escroquerie avant que le peintre ne s’exile en Suisse, où il décédera quatre ans plus tard.
Il faut attendre 50 ans avant de publier des archives privées. Gustave Courbet meurt en 1877. La bibliothèque de Besançon estime que cette correspondance ne peut plus déshonorer le peintre.
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36 de ces 116 lettres seront donc exposées entre le 21 mars et le 21 septembre 2025 et mises en ligne sur le site https://memoirevive.besancon.fr/, suite à cette exposition. L’intégralité de la correspondance sera publiée dans un recueil co-édité avec Gallimard.
Écrit avec Stéphanie Bourgeot et Florence Petit.
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