Double primé au Festival Séries Mania de Lille, « La Mesias » de Javier Ambrossi et Javier Calvo raconte l’histoire d’une fratrie sous l’emprise d’une mère monstrueuse. Une fresque aussi monumentale qu’émouvante à voir sur Arte.tv jusqu’au 14 novembre 2025.
Un soir, Enric (Roger Casamajor) a un choc. Assistant réalisateur d’un film consacré à l’apparition de la Vierge noire au pied de la montagne de Montserrat – étrange sanctuaire catalan qui attire aussi de fervents amateurs d’ovnis – il découvre sur Internet une vidéo virale émanant d’un groupe catholique.
Immédiatement, il comprend que les six jeunes chanteuses qui défilent à l’écran sont ses demi-sœurs. Vêtus de robes kitsch, ils chantent « Stella Maris », du nom de la maison où il a grandi avec sa sœur Irène (Macarena Garcia). Élevés par une mère tyrannique, ils la fuirent longtemps.
A la tête d’une entreprise de couture, mariée et vivant frugalement, Irène est elle aussi dévastée par ce clip. Lorsqu’Enric la contacte, elle le rejette, lui reproche de l’avoir abandonnée et avoue qu’elle ne lui a jamais pardonné. Mais Enric persiste. Il veut sauver les jeunes filles de cette mère folle, une femme dangereuse qui prétend être la voix de Dieu sur Terre. Ensemble, ils vont tenter de retrouver leur famille qui vit en dehors de tout système.
Un casse-tête narratif complexe
Se déroulant par petites étapes et à un rythme lent, l’action navigue entre trois décennies qui s’entrechoquent, les années 1980, 1990 et 2010. La narration volontairement détaillée avec de nombreux flashbacks compose un puzzle complexe bourré de références cinématographiques et où le mélange des genres devient la norme.
Le ton peut ainsi changer d’une scène à l’autre, d’un thriller psychologique oppressant à une comédie musicale joyeuse ou d’un film fantastique angoissant à un drame familial émouvant. La seule constante de cette fresque remarquable reste cette mère qui traverse les époques.
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Interprété de main de maître par Ana Rujas, Lola Duenas et Carmen Machi, le personnage de la mère, Montserrat Baro, dérange autant qu’il captive. Au début, elle se sépare de son mari, quittant le domicile conjugal en trombe, ses enfants Enric et Irène sous le bras. Consciente de son pouvoir d’attraction sur les mâles, elle fait la fête, se drogue, s’enivre, s’envoie en l’air. Mère indigne et dépravée, elle ira jusqu’à se prostituer pour que ses enfants aient un toit sur la tête et de la nourriture dans leur assiette.
La nouvelle vie sous l’influence de l’Opus Dei
Bientôt, Pep (Albert Pla), un personnage énigmatique qui l’observait en silence, lui tend la main et sa bible. Elle accepte de le suivre. Séquestrée par cet homme strict se réclamant de l’Opus Dei, la petite famille reconstituée entame une nouvelle vie modeste dans une cabane en ruine, éloignée du monde. Ici, il faut se contenter du minimum, manger sa soupe en silence, cultiver le jardin sans broncher, louer Dieu et aller tout droit.
Les années passent, la fratrie grandit. La mère acariâtre, méchante, violente et colérique réprimande et humilie ses enfants à la moindre occasion jusqu’au jour où Dieu lui parle et lui ordonne de sacrifier ses filles. Désormais, ils chanteront et danseront pour répandre sa bonne parole, tandis qu’elle, contre rémunération, servira d’intermédiaire entre l’au-delà et les fidèles prêts à croire en son don.
La tyrannie de la mère et le sacrifice des filles
Avec ce personnage au caractère fort et puissant, tornade que rien ni personne ne peut contenir, pas même Dieu, « La Mesias » fascine. Le fanatisme religieux et ses dérives sectaires sont ici décortiqués avec une finesse remarquable. Les ravages irrévocables causés par une femme perturbée sur les enfants qu’elle prive de la vie, tout en se persuadant qu’elle leur fait du bien, donnent la chair de poule. Son désir de domination absolue sur sa tribu trouble autant qu’il interroge.
Doublement primée au Festival Séries Mania de Lille – meilleure production dans la section Panorama international et Prix étudiant -, « La Mesias » propose un regard sur la maternité, la sororité, l’enfance et l’impuissance de l’assistance publique face à un phénomène tel que la la série a rarement été proposée.
Conditionné dans une œuvre dense, son seul défaut est sans doute la durée des sept épisodes, qui ne durent jamais moins de 65 minutes.
Philippe Congiusti/sf
« La Mesias », de Javier Ambrossi et Javier Calvo, sept épisodes à voir sur Arte.tv jusqu’au 14 novembre 2025.
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