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“Avec la télé-réalité j’ai abordé un sujet méprisé par les intellectuels”

Liane, 19 ans, vit avec sa mère et sa petite sœur dans une commune de Fréjus (Var). Enveloppée dans des hauts moulants et juchée sur des talons, elle a créé une armure où tout n’est qu’artifice : faux ongles, faux seins, extensions et maquillage de guerrière.

Le jour, il vole dans les magasins pour revendre des parfums et des chargeurs dans les villes voisines. Le soir, il allume la caméra et alimente son compte avec des vidéos suggestives. Lorsqu’il reçoit un appel d’un directeur de casting qui travaille pour la téléréalité L’Île des Miracles, elle est convaincue que sa vie va changer.

Premier long métrage d’Agathe Riedinger, Diamant brut reprend le personnage de son court métrage Jupiter attendinspiré de la demi-mondaine de la Belle Époque, Liane de Pougy. Avec cet anti-conte où violences sexistes et de classe se heurtent aux rêves d’absolu, le cinéaste offre un magnifique rôle à la débutante Malou Khebizi, sélectionnée aux Césars dans la catégorie Révélations.

Diamant brut sort alors que nous célébrons 20 ans de Histoire du grenier. Votre personnage est-il la petite sœur de Loana ?

Elle est évidemment sa petite sœur symbolique, mais Liane ne sait pas qui est Loana. Il existe un fossé entre les émissions de téléréalité des débuts et celles d’aujourd’hui. Les ingrédients pour créer du divertissement sont toujours les mêmes : la mise en scène d’histoires d’amour, de sexe, de vengeance.

Mais c’est devenu un véritable métier, les candidats ont, à juste titre, pris du recul et se sont battus pour obtenir un salaire décent, des horaires de tournage plus sains, pour que le droit du travail soit respecté. Ils sont également plus clairs sur les problèmes et sur ce que l’on attend d’eux. Loana et ses compagnons étaient des bûcherons et de la chair à canon.

Vous avez choisi de ne pas diffuser de téléréalité : on ne peut pas voir les images du programme L’Île des Miracles, le directeur de casting est une voix off presque irréelle, pourquoi ce traitement ?

Je voulais que la téléréalité soit vue à travers les yeux de Liane. Cela lui confère un pouvoir presque mystique et divin. Pour la scène du casting, j’ai voulu recréer cette cruelle réalité, avec une relation dominant-dominé comme dans un entretien d’embauche plus classique.

Liane interroge le spectateur qui regarde la caméra, lui demande de la reconnaissance. Faire de la directrice de casting une voix simple lui confère un immense pouvoir tout en mettant en avant toute l’humilité et la fragilité de Liane. Cette femme est sa mère symbolique, celle qui lui donne naissance.

Le personnage, tiré d’un précédent court métrage, s’inspire de Liane de Pougy, célèbre demi-mondaine de la Belle Époque. Quels sont les parallèles entre les deux ?

Ce sont les mêmes trajectoires que les femmes. Les demi-mondaines, appartenant souvent à des classes sociales très pauvres, utilisaient leur beauté avec une immense intelligence pour mettre à leurs pieds les plus grands hommes d’Europe. Alors le rapport au culte et à la présentation de soi est identique. Les demi-mondains ont largement utilisé la photographie naissante de Nadar et travaillent pour se faire connaître avec des cartes postales, qui pourraient être l’équivalent des médias sociaux d’aujourd’hui.

Ils ont bousculé les codes de la mode et de la beauté. La dimension religieuse est également importante, avec un rapport culte assez identique. Liane de Pougy finit dans un couvent. Comme pour mon personnage, l’hypersexualisation des corps n’a rien à voir avec la sexualité, c’étaient deux choses différentes même s’ils revendiquaient leurs désirs, ils avaient des amants. Liane de Pougy était également homosexuelle et l’a affirmé haut et fort.

Comment avez-vous rencontré Malou Khebizi, qui joue Liane ?

Casting sauvage. Comme les émissions de téléréalité mettent en scène des inconnus, j’ai souhaité que Liane soit interprétée par une jeune femme qui n’a jamais joué et qui vit dans le Sud, comme le personnage. La directrice de casting Julie Allione a posté des messages sur les réseaux sociaux.

Il avait une équipe sur le terrain qui rencontrait des jeunes femmes dans les boîtes de nuit, sur la plage, dans les centres commerciaux. Malou a répondu à l’annonce et a envoyé une vidéo. Nous l’avons rencontrée très tôt, mais il m’a fallu environ huit mois avant de lui proposer le rôle. Je devais m’assurer qu’elle avait la distance émotionnelle et intellectuelle nécessaire pour ne pas être blessée par le rôle, pour qu’elle comprenne les enjeux du personnage et ne soit pas dépassée par le tournage. Je n’aurais jamais eu affaire à une actrice qui n’avait pas la tête sur les épaules.

Avez-vous eu des difficultés à monter la production ?

NON. Mais l’écriture, commencée il y a six ans, a été longue et douloureuse. Il a fallu trouver l’axe pour communiquer tout l’amour que je ressens pour Liane et les jeunes femmes qu’elle symbolise. J’abordais un sujet méprisé par les intellectuels et le monde artistique. Mais certains leviers permettaient d’ouvrir un peu plus la fenêtre. MeToo a révélé un torrent de vérité.

Ensuite, le livre de Delphine de Vigan Les enfants sont rois (sur les enfants influenceurs – ndlr), publié en 2021, m’a apporté un immense soulagement. Si la littérature a abordé ce thème, c’est parce que nous commencions à être prêts. Alors, les voix des candidats de télé-réalité se sont élevées pour dénoncer le harcèlement et l’humiliation. Petit à petit, j’ai senti que le moment était venu de présenter le projet au Centre National du Cinéma et ça a marché. La sélection du film à Cannes montre que les avis évoluent.

La présence croissante de réalisatrices contribue-t-elle à renouveler les imaginaires et les discours ?

Pour citer les films sortis cette année, des réalisatrices comme Coralie Fargeat, Noémie Merlant ou Céline Sallette abordent de front les personnages féminins. Tout le monde dit : c’est la vérité d’une femme, c’est ce qu’on endure. Ils remettent en question la beauté, la maternité, l’âge, la dignité. Et le fait que ces films soient mis à l’honneur à Cannes ou à Venise, lieux mondiaux où tous les regards convergent, est un signe très positif.

Je suis assez optimiste. Il y a plus d’espace pour les femmes mais surtout quand elles l’occupent, elles le font de manière très forte. Ce sont peut-être de petits endroits, mais ils font du bruit, et cela ne peut qu’encourager d’autres femmes. Plus nous serons nombreux à postuler, plus il y aura de films féminins et de sujets intéressants.

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