“Pour la musique, j’ai mis ma vie entre parenthèses.” Denis Gravina, pianiste concertiste, a fait ses débuts à Cousances-les-Forges, petite ville de la Meuse à la limite du nord de la Haute-Marne. Il vit désormais à Londres et se produit sur les plus grandes scènes internationales. Il se produira avec deux autres virtuoses les 23 et 24 novembre à Savonnières et Stainville.
A l’âge de 5 ans, alors qu’il fréquente l’école de musique de Cousances-les-Forges, Denis Gravina est un enfant actif, plein de vie. Le professeur de piano, Denis Sé, l’observe dubitatif, car pour jouer de cet instrument il faut être calme et avoir une posture stable.
Trois mois plus tard, il lit bien mieux la musique que les mots et traduit tous les sons en notes, grâce à son pitch parfait. Le jeune homme se souvient : « J’étais très jeune, mes parents avaient acheté un piano pour mon frère aîné. J’étais là tout le temps ! Mais en musique il y a des termes à connaître, beaucoup de choses à apprendre, j’étais un peu perdu alors tout le monde m’a aidé.”
A 13 ans, son professeur lui dit, presque en s’excusant : “Je ne peux plus rien t’apprendre, il faut trouver un professionnel”. Après un court séjour à Bar-le-Duc, son père l’inscrit au lycée Claude-Daunot de Nancy. Denis confie « J’avais 14 ans, c’était trop tôt. Ma mère a eu du mal à l’accepter et s’est ensuite résignée parce qu’on n’a pas d’enfants à charge. Je pense qu’elle n’a pas pu m’éduquer comme elle le souhaitait, mais je suis toujours là pour elle ! « .
L’entrée au conservatoire de Nancy est déjà un défi « ils m’ont mis au dernier niveau, c’est dingue ! C’était étrange, je me sentais comme un robot ! J’étais dans une salle avec des pianistes de 18/20 ans, j’avais étudié le troisième mouvement de la sonate de Schumann et en fait il fallait jouer le premier ! J’ai commencé à pleurer mais on m’a dit de jouer ce troisième mouvement sur scène, que le jury me donnerait une chance. Ils savaient très bien qu’ils avaient fait l’erreur de choisir le mauvais niveau, c’était de leur faute ! Et j’ai été accepté ! « .
Alors, pendant 10 ans, il découvre l’harmonie, écrit de la musique « il était très strict, tu as 14 ans et si tu ne passes pas l’examen dans les deux mois tu es viré ! J’étais dans un siège éjectable ! C’était des journées folles, avec l’école et le conservatoire le soir, je me revois à La Malgrange au collège en train de manger seule avec un plateau.»
Collège de musique de Londres
Après avoir obtenu son bac musical, le jeune pianiste ne sait plus où donner de la tête. Il a étudié la musicologie pendant deux ans, en se concentrant sur l’histoire et la recherche, « mais j’ai vu mon rêve de jouer du piano s’éloigner et j’avais besoin d’apprendre ».
Son avenir s’écrit alors en anglais, il part à Londres à 23 ans pour suivre sa « copine ». Il descend du taxi et se dit « qu’est-ce que je fais ici ? « . Il a auditionné au London College of Music, où Freddy Mercury, entre autres, a étudié. L’école est immense « avec des pianos à queue Steinway partout ».
Une attente interminable commence : « deux mois sans nouvelles, j’étais à Paris pour suivre un cours intensif d’anglais, 8 heures par jour car je n’avais absolument pas le niveau. Sans avoir été emmené à l’école, je serais quand même allé à Londres. Puis j’ai été contacté via Skype, en anglais et je n’ai absolument rien compris ! Puis mon interlocuteur me dit, en français, que je suis pris ! J’ai eu de la chance, il était bilingue.”
Son bonheur est incommensurable « J’ai embrassé tout le monde. Même mes professeurs d’anglais à Paris n’en revenaient pas ! « . Il y a cependant une condition : « si dans les cinq mois vous ne parlez pas couramment notre langue, vous devrez partir ». Seul étudiant qui ne parle pas anglais mais aussi seul étudiant français, Denis a tenu bon : « pendant trois mois personne n’osait me parler, tout le monde me regardait bizarrement et quand je parlais ils mouraient de rire ! En décembre, lors de l’examen, ils m’ont vu jouer et ont alors réalisé que j’étais une personne différente. Pendant cinq ans, je n’ai pas eu de vie, je jouais toujours, 8 à 10 heures par jour, avec une pause toutes les heures. C’était fou ! « .
Après avoir obtenu son diplôme, il rentre en France pour deux semaines. Londres lui manque et veut y construire sa vie. Il confie « Je suis parti de rien et ça marche ! Les gens ne voient que l’image du piano, mais derrière cela, d’énormes sacrifices sont nécessaires. Le fait d’être bilingue a changé sa vie, les portes du monde se sont ouvertes et il a joué en Turquie, en Italie et bientôt à Cuba.
Entouré de nombreux amis musiciens, Denis Gravina vit aujourd’hui de la musique, notamment de l’enseignement. Il enseigne à 54 étudiants, âgés de 4 à 62 ans, de toutes nationalités. Une étudiante autiste l’a touché « quand je l’ai vue il y a deux ans, elle était complètement fermée, aujourd’hui elle s’ouvre, elle joue super bien ». Il organise également des masterclasses et adore « enseigner la musique au monde entier ; c’est enrichissant, les gens ont une façon différente de jouer, ça m’apporte tellement que je pourrais en parler pendant des heures ! « .
« Nous avons un tout petit budget, mais vous dégusterez du pâté et une quiche lorrains »
A la demande du public, l’idée d’un récital dans la Meuse a germé dans son esprit. Il raconte « après le Covid j’ai donné un concert dans l’église d’Aulnois, c’était complet et les gens m’ont demandé s’il y aurait un autre récital. “. Il propose alors que trois musiciens l’accompagnent en France mais précise “nous avons un tout petit budget, mais vous dégusterez du pâté lorrain, de la quiche lorraine et vous serez chez l’habitant”. Je suis immédiatement d’accord.
Le pianiste Graham Caskie, mentor de Denis, se produira à ses côtés. « C’est un musicien incroyable, un grand artiste, professeur au Conservatoire de Londres. Il interprètera Ravel, Debussy, Rachmaninov et Brahms. Denis jouera Chopin. Ils seront accompagnés de Lester Chio, clarinettiste d’origine cubaine et professeur au Conservatoire de Paris, qui a joué dans le monde entier, notamment en Corée du Sud, au Mexique, en Colombie, ainsi que Eralys Fernandez, également cubaine, qui travaille avec Denis à Londres. « Il a eu une vie difficile et a fait beaucoup de travail humanitaire, il a même envoyé un piano à queue au Conservatoire cubain ! « . Denis est content de leur arrivée : « Ce sont tous les trois de grands noms de la musique et ils n’hésitent pas à venir dans la Meuse. Je les ai prévenus : on n’est pas à Paris, il y a des forêts, des vaches ! « .
Le festival est donc en préparation et Denis peut compter sur le soutien constant du Codecom des Portes de Meuse, de Fabrice Petermann, maire de Savonnières-en-Perthois, de Marie-Hélène Gallois, maire de Stainville, de l’abbaye de Jovilliers, de son la famille et tous les bénévoles qui, entre autres, distribuent les dépliants.
Denis Gravina a un autre rêve, jouer du piano à queue au théâtre de Saint-Dizier. Un rêve accessible.
De notre correspondant
Catherine Millot
Concert « So classique », samedi 23 novembre, à 20h, à la mairie de Savonnières-en-Perthois et dimanche 24 novembre, à 15h, en l’église de Stainville.
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