Le 13 novembre 1968, Yellow Submarine est lancé aux États-Unis. Les Beatles y ont créé un petit chef-d’œuvre. Retour sur un mythe devenu intemporel.
Pas de cavalcade maladroite dans les rues de Londres. Ni aucun acte charmant devant Ed Sullivan et la presse américaine. Ou une chute coordonnée de la poudre autrichienne. Le passé est le passé. Quant à bousculer le toit le plus célèbre de l’histoire de la musique, il faudra attendre. Pour l’instant, les Beatles ont affaire à des créatures infernales appelées Blue Meanies.
1968. Brian Epstein ayant signé un contrat de trois films avec United Artists, les Beatles sont contraints de faire une suite à Aide! (1965). Pourtant, ils n’en ont aucune envie. Epstein a donc demandé à Al Brodax – l’un des producteurs de la série animée dédiée au groupe – si un long métrage d’animation pouvait faire l’affaire. Vu la qualité de la série, les quatre musiciens ne sont pas ravis. Pourtant, ils n’ont pas besoin d’être impliqués. Si cela leur permet de remplir leur contrat, cela leur convient.
Brodax a donc commencé à réunir une équipe de créatifs, dont le dessinateur canadien George Dunning, le réalisateur Charles Jenkins et plusieurs scénaristes, dont Erich Segal, le futur auteur de Histoire d’amour et professeur de latin. C’est Jenkins qui a suggéré d’embaucher Heinz Edelmann, un graphiste tchéco-allemand surtout connu pour son travail pour le magazine Vingt. C’est lui qui a évoqué l’idée de l’histoire sous forme d’une série de courts métrages, ” le style du film varie donc toutes les cinq minutes environ, pour susciter l’intérêt. » On raconte que tout ce beau monde avait du mal à se décider lorsque Sir George Martin les réunit en 1967 et leur fit jouer le nouvel album des Beatles : Le sergent. Groupe du Pepper’s Lonely Hearts Club. Ils peuvent enfin commencer à naviguer.
Le résultat sera finalement du goût des Beatles – même si Paul aurait pu souhaiter que ce soit un dessin animé classique… » le plus grand film Disney jamais réalisé » ! Ils l’ont tellement aimé qu’ils ont accepté de participer à sa création avant de partir en Inde pour étudier la méditation transcendantale. Sa bande originale comprend de nombreux morceaux instrumentaux composés par George Martin, ainsi que quatre chansons inédites enregistrées un peu sous la contrainte. Ce n’est pas un hasard si « It’s Only a Northern Song » de George Harrison est plus une démo qu’une chanson. Il en va de même pour « All Together Now ». Bien qu’entraînante, la chanson ne compte pas parmi les plus grandes explosions de McCartney. Seule la contribution de John Lennon“Hey Bulldog”, sort. Préfigurant le Album blancla chanson fait la part belle à la désillusion.
Tout cela, combiné à dix chansons plus anciennes et à un scénario dissolu mettant en scène la ville de Pepperland assiégée par des adversaires à la peau bleue, a fait pour Sous-marin jaune un film singulier à part entière – une comédie musicale disparate qui transformait littéralement les popstars en œuvres d’art. Au revoir Sous-marin jaune aujourd’hui, c’est plonger dans les eaux profondes des années 60. Oui, c’est une merveille visuelle. Peu importe combien de fois vous le regarderez, vous serez impressionné. La séquence consacrée à « Eleanor Rigby », symphonie grisonnante dépeignant une Angleterre morne, vaut à elle seule le détour. Et même si l’implication des Beatles a été minime, leurs avatars incarnent à merveille leurs différentes sensibilités et les explosions de couleurs caractéristiques de Carnaby Street.
Il suffit de regarder comment les Fab Four sont représentés. Ringo est lui-même habituel. Tout aussi perdu que son personnage dans Une dure journée et nuitil est abonné aux rôles de fleuret. Quant à Lennon, il a quelque chose d’un monstre de Frankenstein, une créature torturée créée ici par la célébrité. Vient George Harrison. Mystique cosmique, ses cheveux flottent au vent. De la musique orientale se fait entendre. Selon Ringo, c’est « Sitarday » ! Les trois garçons ouvrent une porte. Une fanfare se fait entendre et Paul entre sous des acclamations bruyantes. Il redresse sa cravate, attrape un bouquet de fleurs et demande joyeusement : « Qu’est-ce que c’est les gars ? » Tout d’un chef de groupe. Enfin, avons-nous mentionné que leurs antagonistes laissent tomber le logo de leur maison de disques sur la tête des gens ? Même sans la participation des Quatre Garçons, on a l’impression que, même dans ce conte de fées, le rêve est quelque peu brisé.
Diffusé pour la première fois un dimanche après-midi, Sous-marin jaune était pour beaucoup la porte d’entrée vers le monde des Fab Four. Super-héros aux costumes fous, ils tuent de méchantes créatures et sauvent le monde… ce sont des musiciens hors du commun. Je me souviens avoir écouté « Nowhere Man », « Lucy In The Sky With Diamonds » et « When I’m Sixty-Four » bien avant « Can’t Buy Me Love » et « I Wanna Hold Your Hand ». Je connaissais ces Beatles animés bien avant les poilus Une dure journée et nuit et Aide ! « Ce film parle à toutes les générations », a déclaré un jour George Harrison. Tous les enfants âgés de trois ou quatre ans sont un jour confrontés à Sous-marin jaune. Il est donc surprenant de penser qu’il ne s’agissait finalement que d’une obligation contractuelle. Quand on voit le quatuor gambader dans ce pays de rêve aux couleurs de l’arc-en-ciel, on ne peut s’empêcher d’avoir l’impression d’avoir traversé le miroir. Soudain, les Beatles apparaissent en chair et en os. Vêtus de chemises ternes, ils ont peu de points communs avec leurs alter ego. Ils échangent quelques blagues, avant de chanter « All Together Now » à l’unisson. ” Tous ensemble maintenant. » Rarement ce message aura été aussi actuel. Qu’est-ce qu’on attend ?
David Frear
Traduit de l’anglais par Jessica Saval
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