Isaac, 15 ans, est décédé un vendredi de février 2023, dans un tragique accident de voiture, sur une route ordinaire en direction de Savigny, dans le canton de Vaud. Cinq adolescents, tous mineurs, sont montés à bord d’une voiture volée aux parents du conducteur. Ce dernier a perdu le contrôle du véhicule qui s’est engouffré dans le fossé. Quatre garçons s’en sont sortis indemnes, le cinquième est décédé à côté de la voiture endommagée, accompagné d’un témoin qui s’est arrêté sur les lieux de l’accident. Un méfait de jeunesse se termine par une terrible tragédie.
Isaac aimait la vie, le rap, le skate, il dessinait, voulait devenir graphiste ou styliste, ou quelque chose comme ça, on a tellement de rêves à cet âge. Sa mère est d’abord écrasée par le chagrin. “Perdre un enfant”, nous dit Fariba De Francesco Greuter à un moment de l’interview, “équivaut à vivre dans une rupture permanente”.
Puis plus tard : « Je me suis dit que si je restais avec ma colère, je n’allais pas survivre. »
Une marque pour la mémoire
Alors voilà, c’est pourquoi nous sommes avec elle, dans cette boutique de la rue Caroline à Lausanne, pour discuter du projet qu’elle a lancé pour offrir un hommage à son fils disparu, une sorte de seconde vie, qui l’aide à traverser son . Lorsque Fariba nous accueille, nous sommes frappés par son sourire, par l’énergie solaire qu’elle dégage. Petite, enveloppée dans un sweat de la collection, elle ressemble à une toute jeune fille prête à conquérir le monde. Sa générosité est contagieuse, elle imprègne les lieux.
La marque a ouvert ses portes en juin 2024 et est à son image : la lumière est partout. Il y a un coin pour les étagères, un espace pour les agencements, un autre également pour boire du café, manger, discuter. « Le magasin était fermé depuis huit ans », raconte Fariba. C’est Retraites Populaires qui met le lieu à disposition avec un bail abordable. On y vendait des canettes de graffitis, donc on a gardé l’esprit rue. Les amis d’Isaac m’ont accompagné pour lancer ce projet, repeint les murs, posé la moquette, imaginé la marque, le magasin. Cette marque veut vivre, on sent qu’il y a un conduireJ’y crois !
Amis, proches, il y en a partout dans cette histoire. Ils passent au magasin le jour où nous y sommes, participent à la discussion, comme Alexandre Pointet, le créateur de la marque, que Fariba voulait à ses côtés. Le graphique de base est une fleur qu’Isaac a dessinée et qui se déploie sur toute la ligne. On retrouve des t-shirts, des sweats, des casquettes, des bonnets. C’est beau, c’est éco-responsable, ça convient aux filles et aux garçons, aux jeunes, mais pas que.
Fariba remonte à la Source, celle de ses larmes. « Nous avons enterré Isaac puis nous sommes allés à l’hôtel. J’ai ouvert mon ordinateur et j’ai commencé ce projet, cela m’a sauvé la vie. Je fais beaucoup de photographie en parallèle de mon travail et mon fils a aimé un tirage noir et blanc que j’ai réalisé de Château-d’Œx. J’ai proposé à Alex de travailler sur cette image. Sur un sweat-shirt, on voit aussi la silhouette d’un jeune garçon sur un skateboard, concentré, la tête penchée. On devine que c’est Isaac, qui vole dans les pentes de la ville. Fariba :
Des amis viennent chaque semaine
La marque est joyeuse, cool « parce qu’Isaac était un enfant cool », le prénom du garçon est écrit avec deux A et prononcé deux fois. “Pour les moments passés avec lui et pour les moments à venir.” On note quand même le sous-titre « pour les bons moments », et on comprend qu’il parle de résilience, d’amour, du respect qui a manqué à Isaac, en mourant sans ses amis dans la voiture accidentée. Fariba distribue, à chaque fois qu’elle vend un vêtement, un texte qui explique la démarche, et permet de partager le projet.
Car c’est aussi cela pour Fariba et pour ces jeunes qui ont lancé la marque et ouvert le magasin : créer une communauté, donner la force de s’engager pour l’avenir. Chaque semaine, une quinzaine d’adolescents, amis ou non d’Isaac, viennent manger, s’arrêtent un instant au magasin, un groupe de breakdance s’entraîne au sous-sol tous les jeudis. Pour Alexandre Pointet, le graphiste, cette transmission donne du sens à ses créations. L’équipe réfléchit également à lancer une capsule, qui s’appellerait Friends.
Le sentiment de fierté
Ces « amis » sont les ambassadeurs du projet.
Pour Romain, « c’est un peu comme avoir Isaac toujours un peu à mes côtés, comme s’il était toujours présent, ça me rappelle les bons souvenirs que j’avais avec lui quand nous étions petits. Porter votre marque ou voir un t-shirt, tous ces petits détails me reviennent à l’esprit. Pour d’autres, les vêtements leur donnent du courage.
Les jeunes qui passent par le magasin pour acheter quelque chose confirment, comme Inès, 19 ans : « Isaac est en chacun de ceux qui portent un des vêtements. » En quittant les lieux, sweat et t-shirt sous le bras, on se dit aussi qu’il y a quelque chose de beau à imaginer que quelque part, dans la rue, dans une chambre, sur un terrain de sport, un parc, sur Au bord d’un lac, Isaac continue d’exister, ses rêves affichés sur nos silhouettes, portés par l’amour de sa mère et de ses proches.
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