Le duo Titoune-Bonaventure et leur équipe ont installé leur nouveau chapiteau sur le pré du Théâtre Vidy-Lausanne jusqu’au 10 novembre. Pour ce « Strano », entre clown, acrobatie et théâtre, la foule se presse et passe un bon moment. C’est un cirque, oui. Comme on le voit trop rarement.
Nous entendons d’abord une rumeur. Une fanfare militaire approche au pas. Le public occupe déjà les tribunes et cette musique rôde dehors tout autour du chapiteau. Et voici qu’apparaît une personne complètement hagarde. Il a l’air épuisé, s’effondre aussitôt, son cul craquelant la peau d’une grosse caisse. Il crie comme un bougre, bruyant, parle de longue marche, de froid et de ruines.
L’homme ressemble à un personnage de roman de Victor Hugo. Cet homme ne rit plus. Ses paroles sont fortes, l’humanité sort de ses poumons. Nous pensons que la vie dehors n’est pas bonne. Heureusement, nous voici tous dans le cocon du chapiteau du cirque Trottola. Un havre de paix. Le spectacle « Strano » peut commencer. Et notre homme se ressaisit.
Un duo légendaire
Trottola, ce sont des êtres de chair et de sang, des artistes de cirque avec la bouteille, la route et la hauteur. Dans le monde de la piste, le duo est légendaire. Leur réputation se mesure à la longue file d’attente qui serpente chaque soir sur le pré de Vidy, juste à côté du théâtre, devant la bâche avant son ouverture. Leurs noms : Titoune et Bonaventure. Titoune Krall, un moineau dans un corps de trapéziste. Bonaventure Gacon, un colosse barbu à la tendresse anarchiste d’Auguste. Sur le cercle, compagnon indispensable de « Strano », il y a aussi Pierre Le Gouallec, parfois remplacé par Sébastien Brun.
Le spectacle peut donc commencer. Et la musique change immédiatement. Adieu les pioupious et leurs clairons. Une plateforme se dévoile. Ci-dessus, voici l’orgue fantastique de Samuel Legal. Un acrobate au clavier, celui-là. Il fera ressortir de son instrument Bach comme Kagel, baroques comme contemporains, des sonorités à faire dresser les cheveux, tant c’est prenant, tant ça s’aère largement dans ce chapiteau aux airs de cabaret d’avant-guerre. .
Rires et frissons
« Strano » se vit et se découvre progressivement sur place. Cela provoque des rires, beaucoup de frissons, mais l’essentiel est ailleurs. Dans cette légèreté infinie, dans cette bizarrerie merveilleuse, de ces personnages mi-Pierrot mi-Gargantua qui dialoguent devant nous. Titoune semble parfois avoir le poids d’un simple bouchon tandis que Bonaventure peut s’écraser les doigts, soulever un piano à queue ou revenir d’une terrible bataille, le voici encore rugissant, indomptable, prêt à grimper encore et encore aux barricades. Toujours cette tête Hugolienne.
Il y a des fils et des trapèzes dans ce spectacle qui nous lance même un lapin, en plein milieu de la piste. Il y règne aussi un esprit qu’on ne retrouve qu’ici et on croise déjà les doigts pour que ce fabuleux « Strano » nous revienne rapidement. Les tournées de Trottola durent généralement quatre ans. De quoi faire des projets sur la comète pour un futur passage en Suisse romande.
Thierry Sartoretti/mh
« Strano » du Cirque Trottola, sous chapiteau à côté du Théâtre de Vidy-Lausanne, du 5 au 10 novembre 2024.
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