Sorti en catimini le 27 octobre par Warner, le quarantième et peut-être dernier film de Clint Eastwood s’impose comme une réussite majeure. “Juror No. 2” est un thriller judiciaire d’une précision étonnante qui explore le dilemme moral d’un juré confronté à une affaire de meurtre dont il pourrait bien être responsable.
Il y a quelque chose de pourri dans le royaume d’Hollywood. Producteur historique de la quasi-totalité des films de Clint Eastwood depuis 1976, le studio Warner a décidé de sortir son nouveau, et peut-être son dernier, film en catimini, sans campagne promotionnelle.
A peine une cinquantaine de salles aux Etats-Unis, une somme dérisoire comparée à l’importance du cinéaste de 94 ans, visiblement « puni » pour l’échec de ses derniers longs-métrages, « Cry Macho » et « L’Affaire Richard Jewell ». Une ingratitude honteuse qui ne doit pas éclipser l’excellence de «Juror No. 2», un film de procès aussi inquiétant que passionnant.
Un héros déchiré
Alors que sa femme attend leur premier enfant, Justin Kemp est choisi pour être le juré n°2 dans un procès pour homicide très médiatisé et politiquement décisif. La procureure Faith Killebrew entend condamner l’accusée afin de relancer sa campagne électorale. L’accusé, James Sythe, un trafiquant de drogue notoire au passé violent, est soupçonné d’avoir assassiné sa compagne, Kendall Carter, retrouvée morte au pied d’un pont, après une dispute dans un bar. Très vite, Justin se rend compte qu’il se trouvait dans le même bar le soir du drame et que le cerf qu’il pensait avoir heurté en rentrant chez lui sous une pluie battante n’était peut-être pas un cerf.
Situé dans la ville de Savannah, en Géorgie, où Clint Eastwood avait déjà tourné son autre film de procès, le mémorable « Minuit dans le jardin du bien et du mal » de 1997, « Juror No. 2 » plonge dans le dilemme moral de son héros, qui s’interroge sur sa responsabilité dans cette sordide affaire avant de se demander comment disculper celui qu’il est censé juger.
Complexe et minutieux
D’emblée, le film étonne par la minutie avec laquelle il décrit la procédure judiciaire. Du choix des jurés au procès lui-même, en passant par les délibérations prolongées (on pense aux « Douze hommes en colère » de Sidney Lumet), le récit prend le temps de développer toute la complexité d’une institution où l’humain est trop souvent jugé pour ce qu’il est. , ou semble l’être, plutôt que pour ce qu’il a réellement fait. Avec, au cœur du scénario, une question très ambiguë qui interroge les notions de vérité et de justice, ici plus opposées que synonymes.
“Juror No. 2” se révèle d’autant plus captivant qu’il évite les clichés apparents au début de l’intrigue pour révéler les paradoxes et les contradictions que véhicule chaque personnage. Ainsi, la procureure, présentée comme une carriériste prête à tout pour arriver à son but, commence à douter de la validité de son raisonnement tout au long du récit. L’un des membres du jury, le plus vindicatif et le plus têtu, révèle des raisons parfaitement compréhensibles pour vouloir envoyer l’accusé en prison.
Enfin, Justin Kemp lui-même, sorte de gendre idéal au début du film, se révèle rattrapé par un passé alcoolique qui guide ses choix, guidés davantage par des intérêts personnels que par des obligations morales. Le héros et sa compagne Ally se retrouvent comparés au couple James Sythe/Kendall Carter, désigné moins comme un contrepoint que comme un miroir à peine déformant.
Fluidité cristalline
Soutenu par la fluidité cristalline de sa mise en scène, qui réunit dans un mouvement commun les facettes les plus troublées de l’humanité, «Juror No.2» prouve une fois de plus la capacité unique de Clint Eastwood à enrichir et ramifier les enjeux dramaturgiques des scénarios a priori cousus de fil blanc.
Fascinant de bout en bout, le résultat s’affirme comme le meilleur film du cinéaste depuis près de dix ans et laisse espérer qu’il ne deviendra pas le dernier.
Rafael Wolf/sf
«Juror No.2», de Clint Eastwood, avec Nicholas Hoult, Toni Collette, Kiefer Sutherland et JK Simmons. A voir dans les cinémas francophones depuis le 30 octobre 2024.
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