Quincy Jones n’est plus. Le 3 novembre, à 91 ans, il a tiré sa révérence à son domicile du quartier de Bel Air à Los Angeles. Légende vivante de la musique, producteur d’exception, il fut aussi un ami fidèle du Montreux Jazz Festival. Des années 90 jusqu’à la pandémie, celui qui a propulsé la carrière solo de Michael Jackson venait chaque année s’imprégner de l’ambiance unique des bords du lac Léman, savourant les concerts avec une passion contagieuse. Tous les artistes présents au festival ont une anecdote à partager à ce sujet.
«Il a vraiment réussi à lui seul à faire connaître le festival», confie au téléphone ce matin Thierry Amsallem, directeur de la Fondation Claude Nobs et de Montreux Sounds. Mathieu Jaton, le PDG de la MJF, décrit un homme d’une « gentillesse exceptionnelle, doux, souriant et joyeux ». Ensemble, ils évoquent leurs souvenirs les plus précieux pour lui rendre un émouvant hommage, témoignant ainsi de la marque indélébile qu’il a laissée dans le monde de la musique et au-delà.
Comment a commencé cette belle histoire entre le Montreux Jazz Festival et Quincy Jones ?
Thierry Amsallem : C’est une longue histoire, car Claude Nobs a connu Quincy depuis ses années chez Warner Music. Leur véritable collaboration débute en 1990, lorsque Quincy vient se reposer à Montreux après une épuisante tournée avec Michael Jackson en Russie. Il se rend à la clinique de La Prairie et Claude lui offre une série de vidéos du festival de Montreux. Quincy les a tous regardés, et il y en avait pas mal ! C’est ainsi que leur partenariat a pris forme et depuis, ils sont devenus très proches. Claude le considérait comme son frère. Il aimait l’appeler son « frère d’une autre mère » – ou, en anglais, «frère d’une autre mère». Quincy n’a manqué aucun festival, jusqu’à Covid, ce qui l’a amené à arrêter de voyager par prudence. Ces derniers temps, on attendait quelque peu cette nouvelle, arrivée hier soir.
Mathieu Jaton: Ce matin est une grande émotion pour nous tous, car nous perdons un géant de la musique et un ami cher au Montreux Jazz Festival. Quincy a laissé une marque indélébile sur le festival pendant plus de 30 ans. Son partenariat exceptionnel avec Claude Nobs a marqué l’histoire de la MJF. Ses dernières années furent particulièrement riches, notamment avec son hommage sur scène, où il invita une nouvelle génération de musiciens, comme Jon Batiste, Ibrahim Maalouf, Matthieu Chedid, Jacob Collier et Alfredo Rodríguez. Cela montre à quel point Quincy est resté moderne et engagé auprès des artistes pendant des périodes exceptionnelles.
Quel a été l’un de vos souvenirs les plus mémorables avec lui ?
MJ : Je vais donc lier cela au festival. En 2014, Stevie Wonder venait pour la première fois à Montreux et Quincy était bien sûr sur scène. Ce fut un moment d’une incroyable puissance émotionnelle, surtout un an après la mort de Claude. Cette année-là, au club, un jeune talent nommé Jacob Collier a donné un petit concert. Quincy l’a immédiatement repéré comme son « jeune poulain », et aujourd’hui, le parcours de Jacob est exceptionnel. Quincy avait un vrai don pour repérer les talents, sans plus jamais les stigmatiser. Pour lui, seule la qualité de la musique comptait et il était passionné par tous les styles.
Tous les artistes voulaient le rencontrer…
Oui. Je me souviens aussi de la venue de Kendrick Lamar au festival. Sa première question fut : « Est-ce que M. Jones est par ici ? Cela montre à quel point Quincy était important dans l’histoire de la musique. Kendrick, en tant que figure majeure du hip-hop, souhaitait rencontrer Quincy Jones, ce qui témoigne de son influence.
TA : Quincy Jones était véritablement notre meilleur sponsor, notre plus grand ambassadeur. Il était très attaché aux projets de Claude Nobs. Pour ma part, je l’ai initié à la technologie à l’époque, car il m’avait demandé de préparer une présentation du festival de manière technologique lors d’une conférence. C’était la troisième édition de TED qui se tenait en Californie, et je n’avais que six semaines pour développer une application, ce qui a été assez intense. En plus, nous avons dû passer juste après Bill Gates, ce qui nous a beaucoup inquiétés. Bill Gates faisait une démonstration de reconnaissance vocale, mais son système s’est écrasé à cause des applaudissements, qui n’ont pas été reconnus. (Rires.) Nous sommes repartis sur scène avec le sourire en nous disant que si cela nous arrivait, ce serait quand même une expérience mémorable. Finalement, nous avons reçu une standing ovation ! Ce soir-là, nous avons même été diffusés sur CNN.
Vous n’aviez pas le trac ?
TA : Oui! Mon application ne fonctionnait pas la veille, j’étais donc très stressée. (Rires.) C’était un grand moment de tension ! Finalement, elle commença à marcher juste au moment où Quincy arrivait, ce qui fut un soulagement pour moi. Je n’avais jamais ressenti un stress aussi intense de ma vie. Au final, nous avons vécu une sorte de victoire, une reconnaissance. C’est incroyable de passer d’un extrême à l’autre en une seule journée !
Vous souvenez-vous de votre rencontre ?
TA : Je l’ai rencontré à Montreux. Il a vu ce que je faisais et, bien sûr, il s’est tourné vers moi. Nous avions des budgets incroyables et des candidatures à présenter devant tous les grands noms de la Silicon Valley. Depuis ce jour, il m’a toujours beaucoup intégré et respecté. Quincy était un ami fidèle : on pouvait l’appeler à tout moment. Il possédait une culture générale impressionnante, ainsi qu’une grande connaissance musicale. Il parlait plus de 40 langues et il a dit en riant : « Je connais 20 mots par langue ! »
MJ : Oui, très bien. En 1994, c’était ma première année au sein de l’équipe du festival. J’ai travaillé au chalet de Claude avec Thierry pour accueillir les musiciens, et un de mes premiers métiers a été de m’occuper du saumon Balik pour Quincy, que j’ai dégusté pour lui. Je garde le souvenir d’un homme d’une gentillesse exceptionnelle, doux, souriant et joyeux, toujours désireux de rencontrer des gens et de favoriser les échanges. LE fêtes dans le jardin au chalet étaient absolument mythiques, où tout le monde se retrouvait. Quand Quincy arrivait, c’était toujours un moment très spécial. Cela m’a permis de me plonger dans l’univers du festival et de constater la profonde amitié entre Claude et Quincy. Ce fut pour moi une expérience d’apprentissage exceptionnelle.
Comment le décririez-vous ?
TA : Avec Quincy, c’était toujours un peu la même histoire : à chaque fois qu’on était ensemble, il se passait quelque chose d’inattendu. Il a mené plusieurs vies à la fois, un peu comme Claude. Il rencontrait souvent sa future épouse ou ses amis à Montreux. Ce fut par exemple le cas de Nastassja Kinski, avec qui ça s’est mal terminé. Il m’a raconté un jour sa rupture : « C’était ça ou dix ans de psychiatrie. » De manière plus générale, il ressemblait un peu à Claude, car à l’époque, de nombreux artistes passionnés de jazz ne pouvaient supporter d’autres styles musicaux. Quant à Quincy, il a évolué du jazz à la pop, et même à la super pop ! Claude catégorisait souvent la musique à Montreux, tandis que Quincy disait : « Nous ne pouvons pas mettre les Afro-Américains dans une boîte à chaussures. »
Allez-vous lui rendre hommage d’une manière ou d’une autre lors de la prochaine édition de Montreux Jazz ?
MJ : Il y aura certainement quelques éléments notables dans cette édition. J’ai toujours laissé les musiciens rendre hommage à Quincy Jones, car ce sont eux qui partageaient avec lui des moments musicaux intenses. Je ne vais rien révéler sur la programmation 2025, mais je suis sûr que certains artistes marqueront ce moment.
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