News Day FR

L’arrêt des prix littéraires Orange, un zeste amer et « maladroit »

Dibakana Mankessi sera donc le dernier lauréat de ce prix, récompensé pour Le psychanalyste de Brazzaville (2023, éditions Les Lettres Mouchées). Une dotation de 10 000 € – contre 15 000 € pour le Prix Orange du Livre, différence à imputer aux frais d’échange, probablement – ​​que la Fondation ne versera donc plus, nous apprend Jeune Afrique.

Mais l’écrivain et sociologue congolais n’est pas seul à clôturer un chapitre : Clarisse Crémer et Maud Bénézit saluées par le prix BD (créé en 2020 avec le CNL et dotation de 5 000 €) pour j’y vais mais j’ai peur (Editions Delcourt) et Marianne Jaeglé, Prix Orange du Livre pour L’ami du prince (Gallimard), sera aussi le dernier pour la section hexagonale. Bref, la fondation Orange met un terme à son implication dans le secteur du livre.

La gagnante, Marianne Jaeglé, qui participera ce 16 octobre à une rencontre en ligne avec les lecteurs, sur la plateforme A place to go, ne manquera certainement pas d’apprécier l’ironie du sort. Nous n’avons pas pu contacter Jean-Christophe Rufin, président du jury depuis 2012 – ayant succédé à Erik Orsenna – pour obtenir ses commentaires.

Cela est principalement dû au fait que la planification promotionnelle est engagée et le calendrier établi. Aux récompenses s’ajoutent des exigences promotionnelles, qui font partie du contrat tant vis-à-vis des auteurs que de leurs éditeurs.

Une notoriété établie

Pour 2023, Orange annonce des résultats d’environ 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont une croissance de 11,4% sur le continent africain. L’opérateur est implanté dans 17 pays et investit 1,25 milliard d’euros dans les infrastructures pour l’Afrique et le Moyen-Orient.

À LIRE – MO3T, c’est fini : Orange abandonne le « hub » librairie

Internet mobile, 5G, services de transfert d’argent ou fibre optique : le PDG de la filiale Jérôme Hénique était plutôt fier de ses résultats. D’autant que l’entreprise a ouvert un fonds d’investissement ciblant les start-up et leurs projets, Orange Digital Venture (voir Tribune Afrique).

Bref, le travail de communication terminé, le cheval de Troie qui passait par la littérature n’aurait plus aucune raison d’exister ?

Tout pour la musique ?

Alors que se passe-t-il chez Orange ? Certains pointent les arrivées récentes de Caroline Guillaumin, directrice de la communication d’Orange depuis janvier 2023, responsable de la Fondation, et de Hafida Guenfoud, déléguée générale de la Fondation, nommée en juillet de la même année. Deux personnalités issues de la Société Générale, respectivement DRH et Déléguée Générale de la Fondation SG.

« Ils ne s’intéressent qu’à la musique», assure-t-on. Et depuis février dernier, la Dircom se démarque : ses changements stratégiques en matière de sponsoring et de mécénat, indique La Lettre.

En s’installant au fauteuil de vice-présidente de la Fondation, elle a souligné les liens avec l’Opéra national de Paris tout en cherchant à écourter le Tour de France, au profit du football ou du rugby. Des zones réservées qui relevaient auparavant des communications françaises…

Quant à la littérature…

La poète et conseillère culturelle au ministère des Industrie culturelle du Congo, Émeraude Kouka évoque « les raisons restent floues» pour justifier cette suppression soudaine. Des économies substantielles ? Le montant du financement de ces différentes récompenses reste «assez opaque», estime une Source. Mais cela s’avérerait “assez important pour prendre cette décision brutale et consacrer la totalité du budget au sponsoring musical ».

En effet, la Fondation Orange est impliquée depuis plus de 35 ans comme mécène dans ce secteur en France. La documentation financière 2023 indique que 24,7 millions d’euros ont été investis dans 25 pays pour «la démocratisation de la culture auprès de tous les publics en favorisant l’accès à la musique, aux livres, aux musées».

Quant au Rapport annuel 2023, il souligne : «Parce que la culture est un formidable outil de décloisonnement et contribue à l’inclusion sociale et professionnelle, la Fondation Orange s’engage également dans le mécénat culturel, favorisant l’accès de tous à la culture, détectant et accompagnant les jeunes talents. en musique et en littérature. »

Déception, trahison et recentrage

Au sein du jury africain, apprend ActuaLitté, c’est une vraie colère de se retrouver devant le fait accompli – d’autant que leur engagement était volontaire. “Au lendemain du sommet de la Francophonie, c’est une terrible nouvelle», analyse un observateur. C’était en effet à Villers-Cotterêts, ces 4 et 5 octobre… »Et plus encore pour les éditeurs africains : c’était l’un des rares prix internationaux à résonance médiatique.. »

Un autre souligne son «grande tristesse de voir disparaître ces prix, pour les Africains et en France pour tous les éditeurs et romanciers soutenus depuis tant d’années».

Réévaluer les objectifs

Cependant, la décision n’est pas comme un lapin sorti du chapeau du jour au lendemain.« Une nouvelle direction s’installe, prend ses repères et refond toute l’opération : un grand classique »nous dit un proche du dossier.

L’arrêt de tous les prix est donc le résultat de semaines de réflexion, qui aboutiront à un recentrage des programmes, autour de l’éducation et de la culture. Notamment pour l’apprentissage — on imagine que le elearning est dans la ligne de mire. A ce jour, 1 700 établissements en France et en Afrique bénéficient du programme Ecoles Numériques, représentant quelque 600 000 étudiants.

La Fondation met à disposition des kits comprenant un mini-serveur de contenus pédagogiques connecté à 25 tablettes, un PC portable, un vidéoprojecteur et une enceinte Bluetooth. De quoi garantir l’accessibilité aux ressources pédagogiques. Il en irait de même pour la lecture, mais aucun de ces deux aspects n’est encore décidé.

L’art et la manière…

Au final, on note surtout un «grave maladresse dans l’arrêt des prix. Qu’une Fondation cesse ses investissements est son droit le plus strict, mais dans la communication adoptée – ou plutôt l’absence totale de communication – il apparaît clairement à quel point la nouvelle direction n’a pas mesuré l’importance de ces prix.», souligne un observateur.

La Dircom, Caroline Guillaumin, a-t-elle estimé que l’organisation était en train de se disperser et qu’il était important de rendre plus compréhensible ses actions ? Et après tout, le lien historique entre la voix et la Fondation méritait-il plus d’attention ? “Le problème vient du fait que rien n’est prêt pour l’avenir : on aurait imaginé que le calendrier serait réaménagé, au moins par respect pour les personnes impliquées.», conclut notre interlocuteur.

Reste ensuite cette question autour du site Lecteurs.com, un réseau de lecteurs regroupant quelque 240 000 abonnés. Amorcée, désamorcée, relancée et doucement active, la plateforme serait en vente, assure Jeune Afrique, pour 1 € symbolique. Un outil doté d’une base de données intéressante, et faisant également office d’outil de promotion pour les différents lauréats de prix littéraires – et qui perdrait désormais une partie de ses fonctions.

Contacté, le service presse du groupe Orange n’a pour l’instant donné aucun signe de vie suite à nos sollicitations sur ces différents sujets. La Fondation n’ayant pas non plus fourni d’explications, la gêne devient «une excuse un peu facile», s’agace un éditeur.

Illustration : Fondation Orange

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

Related News :