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Gustave Caillebotte, l’homme qui peignait les hommes

Lorsqu’en 1876 Gustave Caillebotte (1848-1894) présente le tableau qui sera considéré comme l’un de ses chefs-d’œuvre, « Les Raboteuses de Parquet », l’accueil est mitigé. On voit, sur une grande toile, trois ouvriers à moitié nus, en sueur, s’affairant à genoux au milieu des copeaux de bois. Des bustes sans visage, absorbés par leur travail, l’agencement du parquet d’un appartement cossu.

Certains critiques saluent cette audace. D’autres jugent le sujet « vulgaire », et ces corps, éprouvés par l’effort, « laids », car très éloignés des canons de la statuaire antique. Le choc est d’autant plus grand que Caillebotte a choisi de les représenter dans un format haut et large, élevant cette scène ordinaire à la grandeur d’un tableau sacré.


“Parquets plaines” (1875).

Orsay Museum, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

A l’époque, le peintre, âgé de 28 ans, était encore jeune. Son travail fait sensation dans quelques grandes expositions, il devient de plus en plus connu, sans être – et il ne le sera jamais de son vivant – pleinement reconnu. Son choix de thèmes perçus comme triviaux, anodins, suscite des résistances. Ses perspectives un peu bizarres, son cadrage inattendu sont déconcertants. Ce garçon discret, dont la famille a fait fortune en fournissant des draps à l’armée, est aussi poursuivi par une réputation d’héritier qui peignait à ses heures perdues, sans engagement viscéral. Pour autant, il n’a pas l’air d’un fainéant. Un autoportrait de 1892 révèle un visage sévère et monastique.


Autoportrait (1892).

Grand-Palais/RMM (Musée d’Orsay) / Martine Beck-Coppola

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70 % des personnages des œuvres de Caillebotte sont des hommes. Pas des héros, mais des garçons de son environnement immédiat

Oublié depuis longtemps

Il meurt à l’âge de 45 ans, en 1894. Jusque dans les années 1950, son nom reste en marge de la gloire des impressionnistes. Pire, on se souvient de lui avant tout pour la collection d’œuvres qu’il a rassemblée, plus que pour ses propres peintures. Le mécène éclipse l’artiste. « Il a disparu des mémoires pendant plusieurs décennies, avant que son œuvre soit peu à peu redécouverte, puis remise en lumière grâce à une exposition au Grand-Palais en 1994 », explique Paul Perrin, directeur des collections au musée d’Orsay. , et commissaire de l’éblouissante rétrospective qui vient de s’ouvrir (1).

Rétrospective? Les organisateurs de l’exposition se méfient de ce mot, car leur démarche ne prétend pas à l’exhaustivité. Parmi 500 tableaux de Caillebotte, le musée d’Orsay présente un choix de 65 tableaux. Une sélection guidée par un fil rouge : la représentation des hommes.

Les conservateurs ont noté que, fait très inhabituel pour les peintres du XIXe sièclee siècle, 70 % des personnages de l’œuvre de Caillebotte sont des hommes. Pas du tout des héros, mais des garçons de son environnement immédiat. Des hommes de leur temps, qui incarnent une nouvelle masculinité. Ce sont des ouvriers, des soldats, des dandys, des sportifs…


«Jeune homme à sa fenêtre» (1876).

MUSÉE PAUL-GETTY

Du réalisme à l’impressionnisme

L’exposition est organisée en dix salles. Cela commence par le milieu familial, puis un défilé de tableaux dédiés successivement aux ouvriers urbains, aux sportifs, aux célibataires… Quinze années de peinture, et une évolution assez nette, du réalisme pointu des débuts à une touche plus vive, plus libre, plus impressionniste à la fin.

Plusieurs nus sont rassemblés. Les hommes sont représentés dans l’intimité de leurs toilettes, sans aucune idéalisation, loin des courbes parfaites des modèles Renaissance par exemple.

Que dit ce tropisme du masculin sur l’œuvre de Caillebotte ? Les commissaires estiment que le peintre a capturé un moment de changement de virilité, affaiblie par la défaite de 1870 contre l’Allemagne. Ses sujets apparaissent pensifs, absents, détachés d’un monde qu’ils observent depuis un balcon, un bateau ou les viaducs métalliques surplombant la voie ferrée.


« Un balcon, boulevard Haussmann » (1880).

Photo Josse / Bridgeman Images


« Canoéistes ramant sur l’Yerres » (1877).

Collection privée

Une question taraude nos esprits curieux et impudiques lors de la visite, même s’il semble qu’il faille séparer l’homme de l’artiste (qui le croit vraiment ?) : cette préférence pour les sujets masculins est-elle l’expression d’une homosexualité du peintre ? L’exposition ne répond ni oui ni non. « Nous ne cherchons pas à affirmer quoi que ce soit sur ce point, car nous ne disposons pas de documents nous permettant de le faire. Nous savons de fait qu’il n’était pas marié, qu’il n’avait pas d’enfants. Mais il vivait avec une compagne, Charlotte Berthier», note Paul Perrin.

Le mystère demeure. L’ambiguïté est sauvée. On retiendra surtout que Caillebotte peignait des ouvriers, des bourgeois, un Paris en pleine transformation, mille scènes de la vie quotidienne… Le grand mouvement de la modernité.

(1) « Caillebotte, peignant des hommes ». Au Musée d’Orsay, à Paris. Jusqu’au 19 janvier, tous les jours sauf le lundi. De 11 € à 16 € ; gratuit pour les moins de 18 ans. Nocturne le jeudi soir à partir de 18h, 12 €. Réservation recommandée. Plus d’informations sur le site : www.musee-orsay.fr

 
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