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le cadavre de l’histoire dans la terre nourricière

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A la campagne, en Carinthie (Autriche). WWW.LACOLLECTION.EU

« Le Champ » (Laisse-toi, mon père, ou écris la mort dans mon cœur), de Josef Winkler, traduit de l’allemand (Autriche) et postface de Bernard Banoun, Verdier, 220 p., 20,50 €.

Toute l’œuvre de Josef Winkler est un véritable travail du passé. Né en 1953, dans les Alpes autrichiennes, auteur d’une vingtaine de romans, dont Carinthie sauvage (« Carinthie sauvage », 1995, non traduit), Requiem pour un père ou L’Ukrainien (Verdier, 2013 et 2022), ce fils de paysans s’est progressivement imposé comme l’une des voix les plus puissantes de la littérature autrichienne, feuilletant sans cesse les mêmes hectares de ses souvenirs d’enfance en Carinthie : Kamering, son village natal “en forme de croix”la ferme familiale, un père violent, une mère muette, un ancien oncle SS, le rituel des messes et des récoltes, les vapeurs d’encens et les silences fétides. Dans cette nouvelle histoire, Le terrainécrit à la suite d’une découverte macabre, Josef Winkler exhume le cadavre de l’histoire, enseveli dans des silences coupables. Et s’enfonce toujours plus profondément dans sa terre d’origine.

Tout commence par la lecture d’un ouvrage de l’historien Johannes Sachslehner sur le grand criminel nazi Odilo Globocnik, responsable de l’Aktion Reinhard qui, entre mars 1942 et octobre 1943, causa la mort de plus d’un million et demi de Juifs en Pologne. À sa grande horreur, Josef Winkler découvre que le« meurtrier de masse » repose depuis mai 1945 dans un pré communal, tout près de la ferme familiale. Egalement originaire de Carinthie, Globocnik revint à la fin de la guerre se cacher dans le pays. Capturé par les Britanniques, il se suicide en mordant une capsule de cyanure cachée entre ses dents. Le curé local ayant refusé d’enterrer le« exterminateur de juifs » dans son propre cimetière, un trou avait été creusé et le corps enterré, sans laisser de trace. Dix ans plus tard, un « admirateur incorrigible d’Hitler » avait recherché les ossements de Globocnik pour l’enterrer, mais en vain. LE “Squelette pourri du nazi assoiffé de sang” était donc resté là, dans ce champ où toute la famille Winkler, père, mère et enfants, récoltait du blé pour le pain et de l’avoine pour les animaux.

Horrifié par cette découverte, Josef Winkler, pendant plusieurs mois, ne put rien avaler ni rien écrire. Tout le “Cuisine noire” de son enfance a donc été contaminé par « grande circulation du sang de l’histoire ». Le terrain se lit comme un long plaidoyer au père, à ceci état (en allemand, mot enfantin pour « père ») qui se tut : ” Gentil état ! Méchant état ! Pourquoi, pourquoi l’as-tu caché, pourquoi l’as-tu gardé silencieux ? » Ce n’est pas un hasard si Josef Winkler a reçu cette année le prix Franz Kafka. L’écrivain lui-même l’a déclaré à cette occasion : «J’ai relu La lettre au père [de Kafka] pour pouvoir écrire ce livre. »

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