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à Londres, la nouvelle jeunesse des clubs de lecture

Dans les parcs et les cafés, de plus en plus de bibliophiles d’une vingtaine d’années se retrouvent pour discuter de leurs lectures. Et trouvez dans ces rencontres une nouvelle Source de lien social.

La lecture, acte considéré comme solitaire, se partage avec fierté dans les clubs de lecture. Rythmes de lecture

Par Emmanuelle Dasque

Publié le 29 septembre 2024 à 16h00

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UUne fois par mois, un mardi soir, Jeremy Pearson, 25 ans, rencontre un petit cercle de lecteurs au Harlequin, un pub avec jardin du quartier Angel de Londres. Au programme : Shakespeare, Steinbeck ou Salman Rushdie, et quelques bières. «Nous discutons ensemble d’œuvres choisies, que nous avons lues à la maison. Il peut s’agir de fiction, de drame ou de poésie. C’est un moment suspendu, loin des notifications de nos téléphones et des demandes incessantes. Une vraie pause autour d’un livre qui nous connecte. » A l’autre bout de la ville, le London Girls Book Club organise très souvent des rencontres littéraires – une soirée dans un bar, une rencontre dans un café ou une promenade au grand air – où une cinquantaine de jeunes femmes discutent d’un thème à travers un livre choisi. . “Les billets vendus en ligne – entre 5 et 15 euros – s’arrachent en moins de quinze minutes”, déclare Caitlin Curry, la fondatrice. En juin dernier, plusieurs Londoniens d’une vingtaine d’années ont même organisé un pique-nique géant sur les pelouses de St James’s Park, pour échanger des livres. (« échange de livres ») et célébrer leur passion commune pour « club de lecture », devenu, ces derniers temps, leur refuge favori.

D’après le site Événement Brite, le nombre de personnes inscrites à ces rencontres a augmenté de 41% au Royaume-Uni entre 2022 et 2023, avec une participation importante des membres de la génération Z [née entre 1997 et 2012, ndlr]. Ces jeunes seraient également devenus des visiteurs fréquents des librairies locales – les ventes de livres chez les 14-25 ans représentaient 61 millions d’exemplaires, soit 18% du marché en 2022 –, selon une série d’études réalisées par l’Institut de recherche. Données du livre Nielsen. Bref, si l’on en croit ces chiffres, les livres seraient l’une des nouvelles passions de cette génération, à qui l’on attribue habituellement de nombreuses heures passées sur les écrans plutôt que de longues soirées à lire.

Le London Girls Book Club rassemble une cinquantaine de jeunes femmes, qui se réunissent pour débattre d’une thématique à travers un livre choisi. @morpetharms

Une partie de la Gen Z invente-t-elle, avec ses propres codes, un nouvel univers littéraire ? “Ces clubs de lecture sont une extension naturelle des BookTok et Bookstagram qui existent en ligne”, se souvient Hana Owens, 25 ans et co-fondatrice avec Emily D’Souza et Josh Pullinger de la toute récente communauté de bibliophiles It’s Hard Back out Here (« ce n’est pas facile ici »), née virtuellement avant de se réunir une à deux fois par mois à Soho. « La plupart des personnes qui viennent à nos rencontres se sont d’abord intéressées à la littérature via ces comptes qui recommandent des livres, avec de courtes vidéos et des productions très personnelles. » Avec quelque 200 milliards de vues, #booktok était le hashtag le plus populaire du réseau en 2023, tandis que les clubs de lecture en ligne de célébrités comme Dua Lipa (Service95) ou Kaia Gerber (Library Science) rassemblent à eux deux près de 500 000 followers sur Instagram.

Un phénomène né en ligne, qui a fini par donner naissance à de nouvelles communautés dans la vraie vie. La lecture, autrefois considérée comme un acte solitaire qu’on n’osait pas admettre de peur de passer pour un « intellectuel » coincé, est aujourd’hui partagée avec fierté. Il est même devenu le nerf d’une nouvelle sociabilité, au point de remettre au goût du jour une tradition remontant au XVIIIe siècle, lorsque, dans les salons anglais, les histoires étaient lues et commentées à haute voix. C’est désormais tout un groupe de jeunes qui se réunit dans les bars, les cafés ou les parcs pour discuter du dernier best-seller repéré sur les réseaux (Sally Rooney, Dolly Alderton, etc.), débattre de grands thèmes existentiels (amitié, ruptures, etc.) ou de genres littéraires (roman noir). , fantaisie, etc.). Des entités où l’on se sent peut-être et surtout appartenir à une communauté dans la vraie vie (et pas seulement en ligne), dans l’espoir de se reconnecter aux autres.

La communauté It’s Hardback Out Here est née en ligne et se réunit désormais une à deux fois par mois à Soho. Photo Nicolas Freitas

« Le livre est en réalité ici un support pour créer du lien, analyse l’anthropologue Élisabeth Soulié, qui étudie cette génération depuis des années (1). La génération Z se définit comme une tribu car elle s’est ainsi construite à travers le réseau des réseaux. Elle recrée ici ce schéma et ce mode de vie très « clique » avec les clubs de lecture, où l’on vit dans une nouvelle époque, subjectif, intuitif et centré sur le moment présent. » Hana Owens l’avoue volontiers : derrière l’envie de lancer It’s Hard Back Out There avec ses deux amies, il y avait, au-delà d’une réelle passion pour la lecture, une profonde envie d’appartenir à une communauté qui a du sens. « C’est ce que signifie notre titre de club, qui sous-entend « ce n’est pas facile dans la vraie vie ! ». Nous souhaitions trouver des jeunes de notre âge ayant un hobby similaire au nôtre, et la lecture est un élément facilement fédérateur. On peut rapidement entamer une conversation, partager des émotions. On sait très vite si une personne appartient au même clan que nous. »

Il est totalement stérile d’opposer les deux univers et d’imaginer que les écrans signifieraient la fin du livre.

Dorothee Birke, professeur de littérature anglaise

Comme d’autres clubs très « de niche » (sur l’environnement, LGBT ou un genre littéraire spécifique), Caitlin a choisi de créer un club exclusivement féminin, où les participantes ne lisent que des femmes ou des auteurs apparentés. au genre féminin. « C’est devenu notre troisième espace, après la maison et notre lieu de travail, elle se confieune zone de confort où l’on échange librement. Un antidote aussi à une certaine solitude, que l’on peut ressentir dans les grandes villes ou devant un écran. »

En octobre prochain, une trentaine de membres du London Girls Book Club, qui compte un millier de membres, partent en voyage au Maroc avec, comme alibi, la lecture en commun de quelques livres. « On sature les écrans. Il faut reconquérir un espace social dans la réalité », continue Hana, tandis que Jeremy mentionne « un vrai plaisir de renouer avec un rapport au temps plus lent, où l’on prend soin de s’installer et de s’écouter ». Au final, cette génération, que l’on a parfois du mal à comprendre et que l’on présente souvent comme hyper-connectée, « bricoler des espaces hybrides », pour reprendre l’expression d’Élisabeth Soulié. Ces jeunes adultes jouent sur plusieurs tables, dans un subtil va-et-vient entre le virtuel et le réel.

Les clubs de lecture connaissent également un renouveau à New York, avec par exemple les soirées de lecture Reading Rhythms. Rythmes de lecture

Pour Dorothee Birke, professeur de littérature anglaise qui travaille sur les cultures numériques à l’Université d’Innsbruck, « Il est complètement stérile d’opposer les deux univers et d’imaginer que les écrans signifieraient la fin du livre. En fait, c’est le contraire qui se produit ici. C’est précisément parce que nous vivons dans une nouvelle ère numérique que le livre peut devenir cet objet sacré doté d’une telle aura. A New York – un autre domaine du renouveau de club de lecture, où les soirées lecture (« soirées lecture ») sont les lieux festifs du moment – ​​ils sont régulièrement une centaine à se retrouver dans les cafés, en terrasses ou au cœur de Times Square. Assis l’un à côté de l’autre, un livre à la main. Chacun lit sa propre histoire, avec l’envie de tisser une histoire commune.

 
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