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L’isolement des personnes âgées | Françoise est comme nous

Françoise aime Gerry Boulet, Dieu et le chocolat. Elle a étudié les beaux-arts, a fait carrière à l’Université de Montréal et a fréquenté un marxiste. Aujourd’hui, elle a 78 ans et est seule.

Oh, elle a bien une cousine et deux amies qui l’appellent régulièrement, mais elle me le dit souvent : elle est seule. Ces quelques fragments humains ne suffisent pas à rompre la solitude du quotidien. Comme tant d’autres aînés, Françoise mène une vie parallèle au reste du groupe. Pendant que nous courons, elle lit Proust et écoute la radio en attendant le prochain repas que lui apportera une aide-soignante. Le monde tourne, et il tourne vite. Pourtant, Françoise ne connaît plus le vertige.

Nous nous sommes rencontrés au printemps 2020. L’organisme Les petits frères venait de lancer un programme de bénévolat téléphonique pour briser l’isolement des aînés confinés. On m’a demandé d’échanger avec Françoise, car nous avions tous les deux un fort intérêt pour la culture locale.

Notre premier appel m’a fait l’effet d’un coup au plexus solaire. Françoise avait travaillé toute sa vie, elle avait aimé, elle avait donné et reçu, elle avait joué et créé… Mais cela ne l’avait pas empêchée de s’inscrire auprès d’une association d’aide aux personnes en situation d’isolement.

Jusque là, j’avais cultivé l’idée qu’il s’agissait de bien vivre entouré pour vieillir en communauté. J’avais tort.

Françoise avait été une amie fidèle et une amante dévouée, mais les années avaient séparé chacun de ses proches.

Je pourrais subir le même sort.

Bien sûr, j’étais au courant des statistiques : environ 20 % des Canadiens de plus de 65 ans se sentent isolés, selon divers rapports de Statistique Canada. Mais les chiffres avaient désormais une voix, celle de Françoise, qui me parlait de la lenteur des jours et de la lourdeur du cœur, mais qui devenait plus légère lorsqu’elle évoquait l’œuvre de Jean Désy ou la façon dont les arbres d’une même forêt sont interconnectés.

Parfois, Françoise et moi n’avions rien à nous dire. Je lui faisais écouter ses chansons préférées au téléphone. C’étaient pour moi des moments de grande douceur. Cette amitié apaisait mon anxiété pandémique.

Cinq ans plus tard, je parle encore deux fois par semaine à Françoise. Je lui rends aussi visite de temps en temps et j’en profite toujours pour regarder le tableau dans sa cuisine. Des touches de bleus différents s’entremêlent de façon mélancolique. Françoise m’a dit qu’elle était triste lorsqu’elle l’a peint, il y a longtemps. Je le trouve magnifique.

Pour ses 76 anset Pour son anniversaire, j’ai offert à Françoise des pinceaux, des toiles et de la peinture. Elle ne s’en est jamais servie car elle a peur de ne pas être aussi bonne qu’avant, de se décevoir. Elle me dit souvent : « Ne m’abandonne pas. »

Peu importe ce que je lui dis, je ne pense pas qu’elle réalise à quel point sa présence me nourrit.

Françoise est honnête comme seules les femmes de son âge peuvent l’être. connerie n’existe pas chez elle.

Si elle est de mauvaise humeur, elle me le dit. Si elle n’a pas envie de parler, elle me le dit. Si elle souffre, elle ne s’excuse pas. Elle ne cache rien par souci de plaire, elle est entière.

Dans un monde qui valorise ce qui brille, elle me montre sans vergogne ce qui choque.

Puis quand elle rit, tout devient clair.

Quand elle me raconte l’effervescence politique des années 1970, sa carrière de secrétaire auprès de chercheurs universitaires, ses années de partage d’appartement dans un Montréal en pleine mutation ou encore le temps passé avec Marcelle Ferron, c’est une part de Nous que je comprends.

Elle m’inspire, m’informe et me bouleverse. Je ne vois pas pourquoi je la laisserais partir…

Le 1est Octobre sera la Journée nationale des aînés. Pour l’occasion, l’organisme Les petits frères lancera une nouvelle campagne de sensibilisation pour rappeler aux Québécois que personne n’est à l’abri de l’isolement. J’aime l’idée.

Prendre conscience que je pouvais aussi vieillir seule est le premier bénéfice que j’ai retiré de mon implication dans l’organisation.

Je pourrais en citer bien d’autres, mais je me limiterai à deux points pour aujourd’hui :

1. J’ai réalisé que je suis jeune et stupide. Je crois savoir beaucoup de choses, mais quand Françoise me dit qu’elle ne veut pas dîner avec les résidents ou qu’elle n’a pas la force de marcher au soleil pour se remonter le moral, je me rappelle qu’il ne sert à rien d’essayer d’imposer des « solutions » aux autres. On essaie d’aider, mais ce qui aide, c’est l’écoute. Je ne connais pas la recette du bonheur et même si je la connaissais, il serait inutile de la répéter à quelqu’un qui a vu la neige beaucoup plus souvent que moi…

2. Françoise me rappelle chaque semaine l’importance de la solidarité communautaire. Si on ne se serre pas les coudes, qui le fera ? On risque tous de vieillir seuls, alors autant se serrer les coudes. Je ne crois pas au karma… S’engager aujourd’hui ne garantit pas forcément le bonheur de demain. Mais je crois à la beauté de la rencontre. Et c’est possible dès maintenant.

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