Le regard poignant et drôle d'un orphelin après le 11 septembre
News Day FR

Le regard poignant et drôle d'un orphelin après le 11 septembre

>

Les tours du World Trade Center sont en flammes après l'attaque terroriste du 11 septembre 2001 à New York. HUBERT MICHAEL BOESL/DPA PICTURE-ALLIANCE VIA AFP

FRANCE CULTURE – À LA DEMANDE – PODCAST

C'est l'histoire d'un enfant qui va enterrer son père, sauf que le cercueil est vide, et pour cause : il était dans le World Trade Center le 11 septembre 2001 et faisait partie des près de 3 000 personnes victimes des attentats djihadistes les plus meurtriers aux États-Unis.

C'est l'histoire d'un enfant espiègle et merveilleux, « collectionneur de pierres semi-précieuses, de papillons morts naturellement, de cactus miniatures et de souvenirs des Beatles »mais un enfant rempli d'anxiété et de culpabilité pour ne pas avoir osé décrocher le téléphone lorsque son père l'appelait depuis les Twin Towers en feu.

Une histoire terriblement émouvante, écrite par l'un des auteurs américains les plus brillants de sa génération, Jonathan Safran Foer, et publiée en 2005 avant d'être traduite en français l'année suivante sous le titre Extrêmement fort et incroyablement proche (L'Olivier) puis adapté au cinéma en 2012. Et c'est cette adaptation (pourtant largement ratée, selon de nombreux critiques) qui a longtemps (pour des raisons de droits) empêché Cédric Aussir de s'en occuper. Mais cela n'a plus d'importance aujourd'hui.

Lire la réunion (2019) : Article réservé à nos abonnés A Radio France, Cédric Aussir, « ingénieur du son » surdoué

Ajoutez à vos sélections

Ton droit

D'abord parce que, en lecteur assidu (il a écrit plusieurs adaptations remarquables de Balzac), Cédric Aussir a su saisir le sens et l'essence de l'oeuvre de Foer. Ensuite parce qu'il a su trouver le ton juste pour nous la transmettre, grâce notamment à une utilisation particulièrement pertinente de la musique (merci Leonard Cohen, Asaf Avidan et Yom) et à un casting exceptionnel.

Verser « gagner du temps » (rappelons que le roman fait tout de même quelque 450 pages dans sa version française), Cédric Aussir a eu l'idée ingénieuse de glisser des résumés dans le générique de chaque épisode. Mais ce qui fait la force de son adaptation, c'est d'avoir choisi de tout faire passer par la voix d'un enfant de 9 ans, incarné par Edgar Cemin, qui, dit-il (et à juste titre), doit être salué « Des performances et une diction incroyables » au point, avouons-le, qu'il paraîtrait impossible qu'aucune autre voix française ne puisse désormais incarner le jeune Oskar Schell : « L'auditeur est avec lui tout le temps : c'est son point de vue, son regard, et c'est ça qui est poignant et drôle. »

D'ailleurs, à l'écoute de Cédric Aussir, si généreux et si modeste, on ressent l'émotion qui le tenaille encore, alors même qu'on est à des années-lumière de sa lecture et à plusieurs mois du tournage qui a eu lieu pendant les vacances de la Toussaint en 2023. On sent les larmes qui risquent de déborder, tant cette histoire le touche, intimement. Il y tient tellement, et nous aussi.

Des émotions contradictoires

Épisode 1. C'est donc l'histoire d'un enfant qui va enterrer son père adoré, même si le cercueil est vide. Un enfant qui se souvient de leurs conversations, de leur complicité. Un enfant qui voit sa mère si belle en ce jour triste. Un enfant aux semelles de plomb qui, un an plus tard « le pire jour » (sous la plume de Foer, les attentats du 11 septembre ne seront évoqués que de manière euphémistique), développe tout un tas de phobies et se met en quête d'une serrure qui correspondrait à une clé qu'il a trouvée, dont il tente de se convaincre qu'elle résoudra le mystère de la disparition de son père.

Les Ateliers du Monde

Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétences

Découvrir

Pour protéger sa mère et sa grand-mère (jouées par Sarah Le Picard et Geneviève Mnich), Oskar commence à mentir, invente même un « Googleplex de mensonges » (il faut dire combien la langue de Foer, merveilleuse dans ses découvertes, s'entend ici si bien), et embarque un voisin dans sa quête impossible (épisode 3). Terriblement lucide malgré son âge (« La vie est une difficulté insurmontable »), hypersensible, Oskar Schell est traversé par des émotions contradictoires (tristesse, bonheur, colère, amour, culpabilité, joie, honte), et nous avec lui.

Dire alors que, un jour, il faudra se résoudre à vraiment lui poser la question, à creuser plus profondément : qu'est-ce qui dans l'enfance fascine et émeut tant Cédric Aussir et qu'il parvient si bien à transmettre ? – pensons à son adaptation de Pinocchio (2022), par exemple. En attendant, (ré)écoutez son œuvre, extraordinairement forte et incroyablement proche. Redites donc à quel point son œuvre est remarquable. Que, de même que Jonathan Safran Foer avait réussi à écrire l’indicible, Cédric Aussir a réussi à faire entendre l’inaudible. Mieux, à offrir une expérience sensible d’une beauté émouvante.

Extrêmement fort et incroyablement procheréalisé par Cédric Aussir d'après le roman de Jonathan Safran Foer (Fr., 2024, 5 × 28 min).

Emilie Grangeray

Réutiliser ce contenu
 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

Related News :