douze coups de cœur pour la rentrée 2024
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douze coups de cœur pour la rentrée 2024

Chloé Delaume, Laure Murat, Marie-Hélène Lafon… La rentrée littéraire offre aussi son lot de nouveautés au rayon poche. « Télérama » vous aide à faire le tri.

Illustration Dumitru Ochievschi/Getty Images

Publié le 7 septembre 2024 à 11h30

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« Pauvre folle » de Chloé Delaume

Si vous vous asseyez au siège 96-97 du train, vous trouverez peut-être sur la tablette un tas de morceaux de mercure et de débris de fil blanc, de filaments de dinde et d'éclats de tôle rouillée. Veillez à balayer ces restes avec le plus grand respect, car vous avez affaire à des miettes de souvenirs que Chloé Delaume, alias Clotilde Mélisse, a extraites de son propre crâne pour les placer devant elle lors d'un précédent voyage. « L’autopsie, semble-t-il, se fait en silence, mais elle se répand partout » est-ce qu'il convient au début du livre. Il est partout, entendez plein les yeux et la compréhension. Concentré de découvertes lexicales, de clairvoyance focale courte ou longue et d'humour monumental, chaque phrase de cette autofiction semble être tirée du premier jet parfait. — ML

Éd. Points, 7,90 €.

« La confiance », de Hernan Diaz

Confiance, symbole de l'argent, de l'extrême richesse. Confiance, traduit en français par le mot ” confiance “. Le titre polysémique du roman d’Hernan Diaz nous guide intuitivement vers ces deux motifs que l’écrivain tente d’examiner. Une fois cela établi, rien ou presque n’est dit de ce beau livre palpitant, construction narrative rigoureusement pensée et savante dont la sophistication n’altère en rien sa capacité à susciter l’exaltation. Multipliant les temporalités et les points de vue, l’auteur, lauréat du prix Pulitzer de la fiction pour ce deuxième roman, signe un récit palpitant à l’architecture virtuose. — Par.C.

Éd. Points, 10,20 €.

“The Sources”, by Marie Hélène-Lafon

Ne pas bouger, ne pas faire de bruit, disparaître. Elle sait faire cela depuis son mariage, il y a huit ans. Elle a aujourd'hui trente ans, trois enfants, une belle ferme et un compagnon qui ne retient pas ses coups, tape dans le ventre, donne des coups de pied dans les jambes. Nous sommes en 1967, samedi 10 juin, et elle repasse le linge, juste avant la grande lessive du soir à la bassine, puis la préparation du repas, la nuit et ses contraintes… En moins de quatre-vingts pages, Marie-Hélène Lafon décrit la vie d'une femme, d'abord jeune fille heureuse puis épouse brisée. Une tragédie feutrée et bouleversante. — CF

Éd. Le livre de poche, 7,40 €.

« La mer de la tranquillité » d'Emily St. John Mandel

Tout commence en 1912. Lorsqu’Edwin s’enfonce dans la forêt de Caiette, sur l’île de Vancouver, et entend les accords d’un violon suivis d’un bruit non identifiable, il est pétrifié. En 2020, puis en 2203 et 2401, d’autres personnages se succèderont pour tenter de comprendre ce mystère, de le faire résonner ou de le scinder en deux afin de l’expliquer… Comme dans L'Hôtel de Verre, Son œuvre précédente, Emily St. John Mandel, parvient à apporter émotion et sentiment dans une œuvre spéculative qui décrit rigoureusement des vies alternatives et des voyages dans le temps. « Et si nous vivions dans une simulation ? » La question est vertigineuse et la réponse de l’auteur est plus poétique que scientifique. — CF

Rivages Pocket Edition, €9.80.

« Le Château des Rentiers », d'Agnès Desarthe

Agnès Desarthe a un projet concret en tête pour ses vieux jours : ouvrir un phalanstère qui enterrerait définitivement le concept chancelant des maisons de retraite. Un lieu de rire et de paix partagé avec les êtres chers à son cœur, un Eden Utopie pour les sursis de la Terre, un Château des Rentiers pour un dénouement de conte de fées. Sa première Source d’inspiration, pour créer cette maison de retraite idéale, vient de l’immeuble de ses grands-parents maternels. Une tour parisienne en béton, avec des portes d’ascenseur orange, des murs en plâtre émaillé, des amis à chaque étage. Un programme de fin de vie très tentant en éternel recommencement, avec carpe diem, droit à l'erreur et soins illimités. — ML

Éd. Points, 7,90 €.

« Oh Canada », de Russell Banks

Officiellement, Leonard Fife, célèbre documentariste canadien, fait partie des soixante mille jeunes Américains qui ont fui au Canada en 1968 pour échapper à la conscription et à la guerre du Vietnam. Homme engagé, il a mis au point un système d’entretien poussant ses sujets à l’aveu, grâce auquel il a pu un jour dénoncer les tests d’agent orange par l’armée américaine au Nouveau-Brunswick. Mais voilà que Leo, 77 ans, en phase terminale d’un cancer, applique à lui-même son protocole de tournage et demande à son disciple Malcolm de le filmer en présence d’Emma, ​​sa femme… Clairement, Russell Banks, décédé l’an dernier, se cache dans ces pages. Au point qu’on penche pour un roman testamentaire. A tort ? Peut-être, et peu importe. —Réalité virtuelle

Babel Ed., 9,90 €.

« Proust, roman familial », de Laure Murat

Avec Proust, roman familialLauréate du Prix Médicis de l'Essai 2023, l'historienne et professeure de littérature Laure Murat invente une nouvelle et passionnante variation de l'égo-histoire, ou récit de soi, en relisant l'histoire de sa famille à la lumière de À la recherche du temps perdu. À travers le chef-d'œuvre de Proust, Laure Murat décrypte les mœurs et les rituels, immobiles et inchangés, du milieu dans lequel elle est née et a grandi, l'aristocratie française. Un monde avec lequel elle a rompu les liens lorsqu'elle a révélé son homosexualité. Le résultat est une œuvre parfaitement singulière, grave et joyeuse, voire euphorique, portée par la conviction profonde que« Un livre peut changer votre vie de manière très concrète. La réorienter, l’expliquer, l’émanciper. En un mot : l’agrandir. » — Par.C.

Éd. Le livre de poche, 8,40 €.

« Fuck Up », d'Arthur Nersesian

De Hubert Selby Jr à Bret Easton Ellis, on pensait avoir tout lu sur le New York délabré d’avant la gentrification. Et voilà qu’arrive un roman miraculeusement sauvé des eaux les plus sombres. Son auteur, Arthur Nersesian, a beau avoir publié une dizaine de livres entre 1997 et 2020, il est resté totalement inconnu de ce côté-ci de l’Atlantique. Son premier roman, Le bordel (est devenu ici Va te faire foutre, que nous traduirons par « jeu déloyal »), est pourtant devenu un phénomène de librairie, un roman culte pour plusieurs générations qui ne demandent qu'à suivre l'auteur dans ses aventures picaresques dans la partie la plus basse du bas Manhattan. — LR

Éd. 10-18, 8,60 €.

« Les dangers du tabagisme au lit », par Mariana Enriquez

Un livre terrible. Un livre qu’on a envie de poser, dégoûté jusqu’à la nausée par tant d’horreur, et qu’on ne peut s’empêcher de reprendre, d’affronter pire encore… Qu’a donc, chez l’Argentine Mariana Enriquez, 50 ans, l’une des écrivaines les plus adulées d’Amérique latine, qui terrifie et envoûte à la fois, choque et rend si brutalement accro ? Dans ce premier recueil de douze nouvelles, paru en 2009 et enfin publié dans une remarquable traduction par Anne Plantagenet, l’admiratrice de Stephen King et des sœurs Brontë, Edgar Poe et Ray Bradbury fait déjà preuve de la même imagination toxique que Mary Shelley pour nous emmener dans son monde d’enfants morts et d’adolescents dérangés. — FP

Éd. Points, 8,40 €.

« Tsunami », de Marc Dugain

S'il a décidé de garder une trace de ses années à l'Élysée, c'est pour « avoir un miroir dans lequel je puisse me regarder », confie le Président de la République à qui Marc Dugain donne la parole dans Tsunami. Rien n’est explicite, mais on suppose rapidement que le roman nous emmène à la fin de la décennie actuelle : « Mon prédécesseur […] « Le vieux bébé de la politique, profondément néolibéral, était aussi rapidement passé maître dans l’art de combiner savoir-faire, faire savoir et faire semblant. La feinte ajoutée à un profond manque d’empathie pour le peuple, les troubles avaient commencé après une période de grâce délicieuse, puis le peuple, le vrai, s’était mis à le haïr » — suivez mon regard. Radiographie critique – et incarnée – de l’état de notre société, de nos institutions et de la démocratie en France, Tsunami se propose également d’être lu comme une méditation sur le pouvoir et ce que nous en faisons. — Par.C.

Éd. Le livre de poche, 7,90 €.

« Il n’y aura pas d’effusion de sang », par Maryline Desbiolles

Nous sommes en 1868 et Toia, une jeune femme piémontaise de 15 ans, ne sait pas encore que dans quelques jours elle va quitter sa campagne pour la ville de Lyon et ses ateliers de soie. Elle ne parle ni n'écrit un seul mot de français et va rejoindre Rosalie Plantavin de la Drôme, puis Marie Maurier de Haute-Savoie et Clémence Blanc, la seule Lyonnaise du groupe. Toutes les quatre seront « ovalistes », un travail qui demande de la concentration lorsqu'il s'agit « remplir et vider les moulins, vérifier la qualité de la soie, nouer et dénouer les fils cassés ». Ensemble, elles seront plus fortes pour avancer vers la première grève des femmes, celle des deux mille ovalistes qui, en juin 1869, tiendront tête au patronat. Maryline Desbiolles leur donne un dynamisme incroyable, une voix, une solidarité, un rythme et des chansons pour contrer la gêne des hommes et leur obstination. — CF

Ed. J'ai lu, 7,00 €.

« Le livre de la rentrée » de Luc Chomarat

Toc, toc ! Luc Chomarat a encore frappé. Il remet ici en scène Delafeuille, « éditeur de fiction » (au sens où on peut le croire), resté coincé dans les glaces de la Dernier thriller norvégien. Moins délirant, moins volontairement hilarant, ce nouveau roman imbriqué joue une partition tout aussi subtile et ne manque pas de donner le tournis. Ainsi que ses protagonistes. Delafeuille, donc, et Delphine, la femme trop parfaite d'un écrivain nommé Luc. Une manière pour Chomarat de signifier que ce n'est pas du tout lui. Mais un peu quand même… On peut prendre la littérature au sérieux, suggère demi-voix Luc Chomarat. Mais surtout pas les écrivains. Et pour donner l’exemple, contrairement aux usages de la « rentrée ». Ou dans sa marge. — FG

Éd. Points, 8,40 €.

 
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