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Les Marrons n’ont pas fini de souffrir

Qui ne voudrait pas voir Camille Cottin jouer un chasseur d’esclaves ?


La cause est entendue : l’esclavage est – a été, sera toujours, pendant des siècles et des siècles – une abomination. On n’en finira jamais de raconter l’histoire de la traite négrière, et de décrire les sévices subis par ses victimes. Que ce soit à l’Isle-de-France – ancien nom de l’île Maurice – ou ailleurs.

Le cinéaste franco-béninois, Simon Moutaïrou n’hésite pas à s’inscrire Pas de chaînes, pas de maîtres dans le sacro-saint rituel du « devoir de mémoire » qui habite aujourd’hui, nourrie de la pureté de ses intentions, la mauvaise conscience de l’Occident. L’action se déroule en 1759. Le jeune Mati fuit les atrocités (viols, coups, pendaisons) perpétrées par Eugène Larcenet, le patron sadique de la plantation de canne à sucre, sous les traits d’un Benoît Magimel épaissi, graisseux, ventru, ectoplasmique. L’acteur a définitivement abandonné toute envie de séduction pour incarner le méchant colon blanc qui, aidé de ses nervis tortionnaires, règne sur ce « camp de concentration » avant la lettre. Le corpulent Magimel ne prend même plus la peine d’articuler les (rares) répliques que le scénario lui a données.

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Résumons. Massamba, le père de Mati, n’a d’autre choix que de suivre sa progéniture en cavale, devenant ainsi un « nègre marron », comme on les appelait – du terme espagnol « cimarron “, c’est à dire” vivre sur les sommets « – les esclaves indigènes d’Afrique qui, des Antilles au Brésil, brisèrent leurs chaînes pour se regrouper en communautés dans la nature sauvage. Ils furent traqués. (Sur l’avenue Louise à Bruxelles se dresse une sculpture monumentale en marbre datant de 1893, signée Louis Samain : «Des marrons surpris par des chiens » – c’est peu dire !). Dans le film, les fugitifs se retrouvent poursuivis par une professionnelle, nommée « Madame La Victoire » ; l’actrice Camille Cottin endosse ce (mauvais) rôle.

Camille Cottin

Simon Moutaïrou, évitant volontairement le réalisme documentaire, tend à investir l’image, nimbée de flou et de clair-obscur, de la charge mystique (à haute teneur spirituelle) que ces parias sont censés porter, et que sa caméra transforme en hérauts sanctifiés par l’indigénat bien-pensant. Dans un curieux syncrétisme qui associe Yorubas, Malgaches, Wolofs, etc., le réalisateur prend soin de valoriser positivement leur foi panthéiste, en opposition à la terrible idolâtrie chrétienne par laquelle Madame La Victoire, en se signant, les yeux au ciel et une croix au cou, justifie ses exactions racistes. La transparence du propos est soulignée par cette séquence qui montre un essaim de cadavres sur une plage, châtaignes Ceux qui n’ont pas réussi à rejoindre Madagascar en pirogue : l’amalgame implicite avec le sort funeste des migrants africains de notre époque est aggravé par l’emploi quelque peu incongru de la langue wolof, alternant avec le français dans les dialogues du film. Comme s’il fallait, au forceps, ouvrir les entrailles de l’Histoire pour faire naître une prétendue généalogie entre les esclaves de l’île Maurice au XVIIIe siècle et les migrants africains du XXIe siècle. Tout le monde ne peut pas être Werner Herzog.


Pas de chaînes, pas de maîtres. Film by Simon Moutaïrou. With Ibrahim Mbaye, Camille Cottin, Benoît Magimel, Anna Diakherethiandoum… France, Senegal, color, 2024.
Durée : 1h38. En salle le 18 septembre.

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