machine humaine
Le générique est parfois important pour certaines séries. Game of Thronespar exemple, l’a habilement utilisé pour révéler les territoires qui seraient explorés dans l’épisode en question tout en contextualisant certains éléments de l’intrigue à travers de petits détails. Dans la continuité, Maison du Dragonen passant par sa rivière de sang dans la saison 1 ou sa belle tapisserie familiale dans la saison 2, a rappelé les événements de l’histoire, régulièrement ponctués de morts majeures.
Avec sa saison 1, Rupture a également utilisé son générique pour évoquer, implicitement, la lutte identitaire de son héros Mark (excellent Adam Scott), tiraillé entre son innie (version qui travaille pour Lumon Industries) et son outie (version extérieure et originale). Cette création artistique d’Oliver Latta, alias Extraweg, a donné beaucoup de sens aux enjeux de la série Apple TV+, où la dissociation pro-personnelle (« séparation ») des personnages, censée créer un meilleur équilibre au quotidien, a provoqué, finalement , un grand tourment psychologique, conscient et inconscient.
Ces génériques ont également donné quelques indices sur l’évolution de Mark au fil de la saison, dont les deux déclinaisons ont fini par n’en former qu’une (ou presque). La version innie de Mark est en effet passée à la version outie pendant une trentaine de minutes dans l’épisode final, à l’image de la fusion des deux Mark allongés sur le lit dans le dernier plan du générique d’ouverture de cette saison 1. Bref, le générique peut offrir beaucoup de clés et cette saison 2 le fait peut-être plus directement que la saison précédente.
S’il n’apparaît que dès le deuxième épisode, on peut presque dire que cette toute nouvelle séquence d’ouverture de la saison 2 contient plus ou moins toute la saison en accéléré (de manière symbolique, métaphorique et subtile). Une mine d’or qui explore à merveille le grand dilemme auquel seront confrontées « les deux Marques », partagé entre Helly et Gemma/Mrs. Casey, et l’ambition étonnante de cette nouvelle salve de 10 épisodes (que l’on a pu voir en intégralité).
un nouveau monde bizarre
Pour être franc, l’embargo sur les épisodes nous empêche de rentrer dans le détail des aventures de Mark, Helly, Irving, Dylan… Cependant, que les fans se rassurent, cette deuxième saison est plus qu’à la hauteur de la première, sinon meilleure à plusieurs niveaux. Inutile de trop s’attarder sur l’esthétique de la série, toujours d’une beauté à couper le souffle malgré l’ambiance froide de l’ensemble entre ciels gris, lumières artificielles, routes enneigées, bureaux vides ou personnages dépressifs.
Cela ne sert d’ailleurs à rien de réaffirmer que Ben Stiller est probablement l’un des meilleurs réalisateurs du petit écran aujourd’hui. Aux commandes de cinq épisodes durant cette saison 2, il est celui qui joue le plus (et le mieux) avec sa caméra. En se reposant certaines idées visuelles sur la dissociation des personnages, cela crée un désordre durable dans la tête des spectateurs où la logique est plus décousue, quitte à plonger dans l’expérimental le temps de quelques séquences.
En vérité, ce qu’il est plus intéressant de discuter, c’est la manière dont la distinction entre les deux réalités, celle des deux Marques, est plus fine, plus complexe et donc plus fascinante dans cette deuxième saison. Trois ans après la diffusion de la saison 1 et son énorme cliffhanger, il fallait que Rupture remettez-le dans son contexte. À cet égard, les deux premiers épisodes sont de véritables bénédictions en se concentrant tour à tour sur les conséquences du côté innie (le premier) puis celles du côté outie (le second).
-Le jeu du fou entre managers, entrants et sortants commence en trombe. Courant dans les couloirs labyrinthiques de Lumon, bien décidée à découvrir la vérité, Innie Mark se retrouve isolée, dépouillée de ses amitiés et presque impuissante malgré sa découverte au début du premier épisode. Dans l’épisode 2, la paranoïa grandit à travers le personnage de Helly qui apprend, à la fin de la saison 1, que sa sortie n’est autre qu’Helena Eagan, l’héritière du PDG de Lumon. En deux fois 45 minutes, Rupture se relance habilement tout en ouvrant une myriade de possibilités.
double identité
Ce sera le cas dès l’épisode 3, initiant en douceur la double confrontation au cœur de l’histoire et initiant la folie du générique, ou de l’épisode 4, déplaçant ses subtilités dans un nouveau monde. L’écriture supervisée par Dan Erickson, le showrunner, est d’une densité exceptionnelle et doit souvent placer d’obscurs pions pour tracer l’intrigue. S’il est très opaque à certains moments (les chèvres de Lorne, Cold Harbor) et peut-être moins dynamique à d’autres, Rupture parvient toujours à retomber sur ses pieds.
Ainsi, en plus de l’enquête de Mark, cette saison 2 prend le temps de visiter d’autres lieux et d’approfondir d’autres personnages. Harmony Cobel-Mme. Selvig (Patricia Arquette) prend par exemple une place encore plus marquante dans cette saison 2, au point d’obtenir un épisode dédié, tout comme Mme Casey-Gemma Scout (Dichen Lachman). Les intentions de chacun ne sont plus aussi claires que dans la saison 1 et la confiance est ébranlée entre les personnages.mais aussi parmi les spectateurs, parfois incapables de choisir leur camp (l’épisode final est fou).
De quoi générer un grand plaisir visuel, Rupture conservant une dose d’humour bienvenue, avec quelques scènes jubilatoires, au milieu de sa grande tragédie intime et universelle. Ainsi, à l’heure où 51% des salariés se déclarent plus exigeants sur l’équilibre de leur vie personnelle et professionnelle (selon une étude de Robert Half), Rupture est incroyablement pertinent. Derrière ses énigmes, rebondissements et autres rebondissements ultra-divertissants, la série n’en reste pas moins une critique cinglante du monde du travail et du système capitaliste.
A travers l’enfer vécu par les innies (et pas seulement), Rupture raconte une forme d’esclavage généralisé, ses dérives autoritaires, voire sectaires, et son impact durable sur l’existence de chacun. Ainsi, dans un monde où nul ne parvient à distinguer leur fonction de leur identité, où les deux sont devenus inconsciemment indissociables et doivent coexister malgré des desseins opposés, sommes-nous condamnés à perdre notre âme (ou du moins une partie) ? Sacré mystère que la saison 3 de Rupture pourrions bien aspirer à étudier pour notre plus grande joie.
Un nouvel épisode de la saison 2 de Severance tous les vendredis sur Apple TV+ à partir du 17 janvier 2025