Au début de l’année 1986Les Australiens sont stupéfaits de découvrir à la télévision que 26 tableaux Renaissance « inestimables » ont été volés dans un monastère espagnol situé sur leur sol, en pleine brousse. Le lieu en lui-même semble improbable : la plupart des habitants n’avaient jusqu’alors jamais entendu parler de cette improbable ville monastique (la seule de toute l’Australie) nommée Nouvelle Norcia.
Le journal télévisé dévoile le décor : au milieu des buissons, frappés par un soleil de plomb, s’élèvent d’imposants bâtiments de style néo-gothique ibérique, avec des tours carrées aux créneaux blancs, des façades rouge-orangé et des fenêtres en plein cintre. Perdu au nord-est de Perth (au sud-ouest du pays), cet étrange coin d’Espagne a été fondé en 1846 par Moines bénédictins pour évangéliser les populations locales.
Un véritable carnage
On apprend que ce monastère possédait, outre de nombreux hectares de terres et autres biens de valeur, un collection de 100 peintures à l’huile d’artistes espagnols et italiensdatant parfois du début du 16èmee siècle et peint, pour certains, par les grands maîtres Raphaël, Murillo et Titien. Mais la sécurité n’était pas à la hauteur de ces trésors : l’alarme n’était activée que la nuit, et seule une dame âgée gardait les lieux…
Le récit des faits fascine le pays. Par une chaude journée de janvier 1986, en plein été australien, deux voleurs fait irruption dans ce musée isolé. Après avoir attaqué le gardien et l’avoir enfermée, ligotée, dans les toilettes, ils tentent deempiler les tableaux dans le coffre de leur voiture. Mais les cadres étant trop grands pour y rentrer, le duo a improvisé…
Dépêchée sur place, la police découvre un véritable carnage : des cadres vides et brisés jonchent le sol ; les toiles étaient brutalement coupé et déchirécertains donnaient des coups de pied, laissant de gros lambeaux déchirés sur les bords du bois. 26 tableauxqui selon les moines vaudrait des millionsont disparu. Mais pourquoi les voleurs ont-ils autant maltraité leur butin, au risque d’en perdre la valeur ?
Des voleurs malhabiles
Le gardien fournit une description du les criminels : le premier est grand, costaud et bronzé, âgé d’environ 40 ans et portant une chemise fleurie ; le second, petit et robuste. Après avoir analysé les traces laissées par les pneus de leur voiture, la police a découvert qu’il s’agissait d’une berline Ford Falcon dorée très récente. Le véhicule idéal pour se démarquer en forêt… Mais ce n’est que le premier indice de la maladresse des bandits.
Ces pieds nickelés ont donné leurs vrais noms pour louer la voiture, réserver leur chambre de motel, acheter leurs billets d’avion…
Après avoir traqué toutes les voitures dorées de ce modèle, les enquêteurs retrouvent le véhicule dans une agence de location. Dans le coffre, les malfrats sont partis imprudemment fragments de tableaux volés. Plus bête encore, ces pieds nickelés ont étant donné leurs vrais noms pour louer la voiture, réserver leur chambre de motel et acheter leurs billets d’avion aller-retour pour Perth depuis Sydney. Des morceaux de tableaux ont même été retrouvés dans les deux pièces où ils séjournaient. Face à ces Laurel et Hardy du crimela police a éclaté de rire.
Un homme nommé Nigelun vendeur de voitures d’occasion, noyé sous les dettes de jeu, est arrêté. Onze tableaux ont été retrouvés à son domicile, ainsi que photos du monastèreun récépissé de transport des tableaux volés qu’il avait envoyé chez lui par colis, et deux numéros de téléphone : celle d’un certain Noel (notre deuxième voleur, gérant d’une pizzeria et d’une discothèque, héroïnomane en plein sevrage, que Nigel a engagé pour l’assister), et celle d’un certain Bruce – le sponsor, qui a recruté Nigel dans un bar .
Un étrange trafic de tableaux entre l’Australie et les Philippines
« Cher Mike, Vous trouverez ci-joint les peintures que Graham Bennett pourra copier. Demandez à Al de les faire parce que c’est lui le meilleur, et le gars insiste pour que les copies soient parfaites. Il est prêt à payer 500 $ pour chacun. »
Ancien chef cuisinier et restaurateur d’œuvres d’art, Bruce gagne sa vie en vendant des portraits à l’huile de leurs animaux aux propriétaires de chevaux, qu’il a peints aux Philippines à partir de photographies. Plusieurs peintures de New Norcia ont été retrouvées chez lui. Une douzaine sont portés disparus, et Bruce admet qu’ils sont sur le point d’être retrouvés. envoyé par avion à Manillecapitale des Philippines. Les tableaux se trouvent dans les extrêmes à Sydney, seulement deux semaines après le vol, mais dans un état déplorable. Bruce a été condamné à trois ans de prison, Noel à deux ans et demi et Nigel à un an et quatre mois. Cependant, des questions restent sans réponse…
Lors de son procès, Bruce évoque un certain Graham Bennettqu’il a rencontré dans un hôtel de Manille en 1985. Cet homme, qu’il décrit comme un potelé amateur de peintures, portant de nombreux bijoux en or et en diamants, aurait (au cours d’une conversation) demandé à reproductions à l’huile parfaites des peintures de New Norciaréalisé non pas à partir de photos mais à partir des originaux.
Une lettre de Bruce adressé à un certain Mike Tyler, propriétaire d’un hôtel à Manille, accompagnait les tableaux volés en partance pour les Philippines : « Cher Mike, vous trouverez ci-joint tableaux à copier pour Graham Bennett. Demandez à Al de les faire parce que c’est lui le meilleur, et le gars insiste pour que les copies soient parfaites. Il est prêt à payer 500 dollars pour chacun […] ».
Le dictateur philippin Ferdinand Marcos est-il impliqué ?
Ce Graham Bennett existe-t-il, ou est-il simplement une invention de Bruce, comme le pense la police ? Quoi qu’il en soit, le puzzle reste incomplet. Le journaliste australien Marc Fennell, auteur de documentaire La mission (diffusé sur la chaîne australienne SBS en 2023) consacré à l’affaire, nous emmène donc aux Philippines. On découvre que l’hôtel où Bruce dit avoir rencontré Graham Bennet est situé dans le Quartier Mabiniréputé pour sa communauté de peintres doués pour la copie. Lors d’une visite sensationnelle, un artiste local a facilement réalisé sous ses yeux une bonne copie d’un des tableaux volés.
Une rumeur incroyable circule à Manille : l’auteur du vol des tableaux de New Norcia n’était autre que le président des Philippines de l’époque, dictateur Ferdinand Marcos (1917-1989), accède au pouvoir en 1965. Avec son épouse Imelda, cette dernière détourné dix milliards de dollars du Trésor philippin à vivre dans une débauche de luxe tout en prenant le contrôle total de son pays laissé dans la misère et la terreur, par la torture et les assassinats.
Imelda Marcos venait d’amasser un collection de peinturesnotamment de la Renaissance italienne, dont une partie a été retrouvée sur le yacht d’un marchand d’armes. Les tableaux qu’elle achetait à grands frais étaient parfois copies ou contrefaçonsmais cela ne la gênait pas : c’était l’impression qu’ils donnaient à ses réceptions qui l’intéressait. Le peintre de rue Mabini interviewé dans le documentaire affirme même avoir peint des tableaux pour elle.
Seul problème : le 25 février 1986, soit environ un mois après le vol de New Norcia, le couple présidentiel s’exile à Hawaï, fuir la révolution qui a éclaté aux Philippines. LE timing cela semble donc un peu étrange. Au milieu de la tourmente politiqueles Marcos auraient-ils vraiment eu l’intelligence de parrainer un vol de tableaux ? Probablement pas, mais le couple pourrait toujours être lié à cette liaison.
Interviewée dans le documentaire, l’historienne de l’art Pamela James, de l’université Western Sydney, spécialiste des affaires de vols d’œuvres d’art, estime que les tableaux pourraient avoir été volés dans le but de offre de vente aux Marcosou à leur entourage de nouveaux riches. Faire faire des copies aurait simplement été une façon de faire d’une pierre deux coups et doublement des bénéfices.
Les lourds secrets de New Norcia
Mais les voleurs se sont donnés la peine pour rien : lorsque les tableaux retrouvés sont confiés à des restaurateurs (qui mettront des décennies à les restaurer), on découvre qu’il ne s’agissait pas en réalité d’œuvres « inestimables ». , mais de tableaux mineurs, copies d’époque réalisés par des étudiants ou des adeptes, dont la valeur totale ne s’élève pas à plusieurs millions mais à seulement 10 000 dollars…
Hélas, New Norcia s’est également cachée des secrets plus sombres. La galerie de peintures où a eu lieu le vol se trouve dans une ancienne école de filles, témoin d’un passé douloureux. Car afin d’évangéliser les aborigènes et d’effacer leur culture, les moines et nonnes de ce lieu eurent, dès le 19èmee siècle à 1974, enfants métis enlevés (à moitié autochtones) à leurs parents pour avoir été élevés à New Norcia, où ils étaient appelés « diables », ont souffert de la faim, du travail forcé, de la violence physique et de la violence sexuelle.
En 2013, une enquête majeure sur les abus sexuels dans les institutions religieuses en Australie a révélé que des années 1950 aux années 1970, 21,5% des prêtres de New Norcia ont été accusé de maltraitance sur enfantsla plus forte proportion de prédateurs enregistrée dans une institution australienne et le triple du chiffre national pour toutes les institutions catholiques.
Pour payer le millions de dollars en compensation Grâce aux victimes survivantes, le monastère a vendu 8 000 hectares de terrain en 2002. Aujourd’hui, seuls sept moines y vivent encore. En manque d’argent, le lieu abrite désormais résidences d’artistesune offre de restauration, un camping et hébergement pour touristes (y compris dans les anciens collèges d’enfants) à louer pour un « week-end » pour s’offrir (selon la brochure) une « expérience bénédictine »…
Série documentaire de Marc Fennell
3 fois 50 minutes
Plus d’informations sur le site de la chaîne australienne SBS.