Votre promesse
par Camille Laurens
Gallimard, 361 p., 22,50 €
Ils s’aiment. D’un amour fou. Pendant des mois, ils n’ont vécu que de cette passion dévorante, de ce désir total, exclusif, flamboyant. Comment expliquer le naufrage ? Ils avaient tout pour être heureux. Jusqu’à faire une promesse.
Claire Lancel est romancière. Elle a promis de ne pas faire apparaître son compagnon dans les pages d’un futur livre. Gilles Fabian s’est engagé à ne pas la trahir. Engagements non tenus. Mais n’étaient-ils pas illusoires ? C’est au tribunal que Claire s’explique, et tisse l’histoire de cet amour perdu. Elle est accusée d’avoir voulu la mort de son amant. Elle sait qu’elle se dirigeait vers une tragédie, citant Héraclite : « Celui qui cherche la vérité doit être préparé à l’inattendu, car il est difficile à trouver et, lorsqu’on le rencontre, déroutant. »
La vie n’est pas un conte de fée
Le jeu du désir, de la séduction, de la découverte d’abord : « Nous nous racontions nos vies comme un roman lu la veille, en nous émerveillant des similitudes, des différences, des coïncidences. Enfin, surtout moi. » L’idylle s’installe au rythme des rencontres jusqu’à l’acquisition de cette vaste maison du Sud, à l’ombre du mimosa.
Et rien n’affole Claire : « La vie n’est pas un conte de fées (…). C’est justement parce que je le sais que je n’attachais pas d’importance à ce qui faisait parfois grincer la symphonie. » Les soucis de Carole, l’amie fidèle, l’isolement du couple, les crises de jalousie et les absences répétées, rien ne l’alerte : « Il m’a donné le nouveau sentiment que j’allais être aimé pour moi-même, que je pouvais baisser ma garde. »
C’est un marionnettiste. Il réalise ses projets de Paris à Toronto. Dénué de toute empathie, il joue son rôle, trop fier pour s’intéresser au succès de Claire. Il devient absent, devient possessif, tire les ficelles d’un amour envahissant et destructeur. Abasourdie, Claire veut encore y croire : « Je savais désormais éviter les conflits, souvent au détriment de mon fantasme naturel. » Petit à petit, l’influence se déploie. Gilles ne supporte pas le succès de Claire, qui se retire pour sauver leur amour : « Comment en sommes-nous arrivés là ? J’ai attendu qu’il lève les yeux, qu’il relève le défi de mon regard. Mais rien. J’avais cessé d’exister. »
L’amour n’obéit pas à la raison
Les proches sont appelés à la barre, spectateurs impuissants d’un tsunami annoncé : « Claire est restée elle-même, celle qu’elle a toujours été, tandis que Gilles voulait se l’approprier. » Tout est dit sur la domination meurtrière. Avant son prénom, il ajoute le possessif : “ma Claire”. Mais au-delà des commentaires, demeure l’aveuglement incompréhensible : « L’amour n’obéit ni à la raison ni aux raisonnements des amis, il a sa propre logique qui vit d’espoir et de déni. » écrit Camille Laurens.
De roman en roman, les rebondissements de l’amour et les secrets intimes sont sa matière première. A travers ce couple fusionnel et suicidaire, c’est la tension vive des histoires d’amour qu’elle explore, le bonheur exigeant, la relation toxique jusqu’à l’absence de sentiments, avec un sens aigu de l’observation et une écriture dense et alerte. Une fiction à couper le souffle, Votre promesse c’est aussi une réflexion sur l’écriture. Que résume la citation de William Faulkner : « La littérature ne sert à rien pour mieux voir. Il sert uniquement à mieux mesurer l’épaisseur de l’ombre. »