Le 1er janvier, un événement majeur se produit dans le monde de la bande dessinée : le personnage de Tintin, dans sa première version datant de 1929, entre dans le domaine public aux Etats-Unis. Cette nouvelle liberté d’usage reste toutefois strictement encadrée.
En théorie, aux Etats-Unis, il serait désormais possible de voir émerger des créations originales autour de Tintin, comme un « Tintin en Ukraine » ou un « Tintin au pays du Bitcoin ». Ces projets ne pouvaient cependant concerner que l’album de 1929, Tintin au pays des Soviets, toute première aventure du jeune reporter.
“Cela veut dire qu’aux Etats-Unis, il n’est plus nécessaire de demander une autorisation ni de payer une rémunération pour utiliser ce Tintin de 1929”, explique Benjamin Montels, avocat au barreau de Paris, dans un entretien accordé mardi à la RTS Matin.
Un Tintin « mal taillé »
Pour Jean Rime, président de l’Association des Amis Suisses de Tintin, la position d’Hergé était claire : il ne souhaitait pas que de nouvelles aventures de Tintin soient créées après sa mort.
« Son œuvre forme un tout cohérent », estime-t-il. « Personnellement, je pense qu’Hergé avait raison […] Or, le droit est ce qu’il est et, si cela devient possible, il y a évidemment une chance de voir émerger des variations intéressantes. Ce que j’espère, si cela se produit, c’est que ces œuvres soient captivantes en elles-mêmes et qu’elles ne reproduisent pas seulement ce qu’Hergé a fait, mais qu’elles apportent une véritable valeur artistique renouvelée.
Pourtant, « Tintin au pays des Soviets » est très loin de l’image iconique que l’on se fait aujourd’hui du personnage. Jean Rime souligne que ce Tintin de 1929 est encore « grossièrement construit » et qu’il diffère grandement de celui des albums ultérieurs, comme « Sur une marche sur la Lune » ou « Le Secret de la Licorne ».
Une échéance en 2054
Cependant, tout n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Si une nouvelle version de Tintin était mise en ligne et devenait accessible depuis l’Europe, la Société Moulinsart de Bruxelles, qui gère les droits d’Hergé, pourrait engager une procédure pour contrefaçon. La parodie, en revanche, reste autorisée.
Ainsi, même si les créateurs américains disposent désormais d’une certaine liberté pour utiliser Tintin, la véritable « libération » du personnage – c’est-à-dire sans aucune contrainte juridique – devra attendre 2054 en Europe, soit soixante-dix ans après la mort d’Hergé. .
Cette situation contraste fortement avec celle d’autres figures de la culture populaire qui, cette année, sont entrées dans le domaine public aux Etats-Unis. Mickey Mouse, par exemple, dont la version de 1928 a vu ses droits expirer, a donné lieu à des projets très éloignés de l’esprit original, comme des jeux vidéo d’horreur ou des films au ton sombre. Le même phénomène touche d’autres personnages emblématiques, comme Winnie l’ourson ou Popeye, désormais eux aussi libres de droits.
Reconnaissance des droits moraux
Mais avec Tintin, la situation est bien plus complexe car, contrairement aux États-Unis, l’Europe reconnaît le droit moral. Cela permet aux ayants droit de conserver un certain contrôle sur la manière dont l’œuvre est utilisée, à condition qu’ils puissent prouver qu’elle a été déformée.
En 2013 par exemple, la Société Moulinsart a obtenu que le catalogue de l’exposition Tintin à Fribourg à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg soit détruit après trois mois de négociations.
Le litige concernait l’apparence et le format du catalogue, jugé trop proche d’un album de Tintin, ainsi que plusieurs illustrations et objets considérés comme des contrefaçons, qui n’étaient couverts ni par « leur caractère parodique ni par la citation de la loi ».
Sujet radio : Pascal Wassmer
Adaptation web : Valentin Jordil