Entretien –
“Une famille”, le documentaire choc sur l’inceste de Christine Angot
Invitée du festival Visions du Réel pour la sortie suisse de son documentaire autobiographique, l’auteure française a accepté de répondre à nos questions.
Publié aujourd’hui à 10h00
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- Christine Angot affronte les traumatismes familiaux dans son documentaire.
- Le film explore le silence et les non-dits qui entourent l’inceste.
- Elle espère que la société écoutera enfin les victimes de l’inceste.
Cet article du 11 avril 2024 a été importé de Femina.ch et republié sur notre site le 7 janvier 2025.
Après ses romans puissants Inceste, Amour impossible et Voyage vers l’Est, Christine Angot continue, caméra au poing, d’explorer les traumatismes qui la hantent. Et présente aujourd’hui A Family – un documentaire tourné en 2021 dans lequel l’auteur affronte le tabou, le non-dit et le silence assourdissant qui enveloppe l’horreur vécue à travers les face-à-face familiaux : la veuve de son père violeur, sa mère, son ex-conjointe, sa fille Léonore. Des rencontres authentiques, sous tension, dures, bouleversantes, douloureuses, violentes et émouvantes aussi, qui permettent de lever le voile. Montrer comment leur entourage fait face à la souffrance d’une victime et à des vérités troublantes.
Invitée du festival Visions du Réel pour la sortie suisse de ce premier film aussi marquant que nécessaire puisqu’il “entre en salle close sur l’inceste”, Christine Angot, qui assiste aux projections des 14 et 15 avril 2024 à Nyon puis à Gland , a accepté de répondre à quelques questions…
Pour témoigner, vous, écrivain reconnu, avez choisi d’utiliser des images. Est-ce parce qu’il montre des choses que la littérature et l’écriture ne peuvent reproduire ? Est-ce parce qu’elle vous lance « deux regards », comme vous l’expliquez à Claude, votre ex-compagne ?
La littérature peut tout véhiculer. Le cinéma aussi. Mais la dimension collective du cinéma, et le fait que l’image filmée soit de l’ordre de la preuve en font un art qui peut être politique. Nous voyons tous la même chose, ensemble. Et nous pouvons en parler. La littérature, nous ne pouvons pas. C’est plus secret. C’est sa beauté. Respect du silence.
La question des « deux perspectives » s’applique aussi bien à la littérature qu’au cinéma. Quand j’écris ou fais un film, je dois avoir deux perspectives. Celui de la personne que je suis, et celui de la personne que je deviens lorsque je filme ou que j’écris. « Je suis un autre », autrement dit.
Dans le domaine de l’art, on ne peut pas parler de « témoignage ». Le témoignage est une question d’étude sociale et de statistiques.
On a tendance à penser que certains sujets, notamment ceux concernant les femmes ou les enfants, relèvent du champ du témoignage.
Je ne témoigne ni dans un film ni dans un roman. En revanche, je fais en sorte que la vie, les choses de la vie, qui échappent au témoignage, apparaissent, et que le film soit la vie elle-même.
En entrant dans la maison de la veuve de votre père à Strasbourg, où l’enfer a commencé quand vous aviez 13 ans, vous dites aux amis qui vous accompagnent, dont la réalisatrice Caroline Champetier : « J’ai besoin de vous, entrez… » Vous leur parlez, bien sûr, mais à nous qui regardons aussi…
Bien sûr. Au départ, sachant que j’allais faire une lecture dans un théâtre, j’ai souhaité que cela soit filmé. Du coup, deux personnes m’ont accompagné, chacune avec une caméra, pour le huis-clos et la caméra de recul. C’étaient deux amis. Ils m’accompagnent dans le quartier de mon père, ils filment, puis je sonne, la porte s’ouvre, et je leur dis de me suivre, pour que vous puissiez entrer aussi.
Ce genre de scène se déroule toujours à huis clos, comme si l’inceste était une affaire privée, familiale, personnelle, et non un crime qui touche la société.
Vous dites aussi : « J’en ai marre de parler de ça, j’en ai marre que mon travail soit envahi par ça… » Turning A Family vous a-t-il permis de vous détendre – au moins un peu ?
La question n’est pas de se détendre, mais d’écrire, de filmer, de comprendre, de montrer, de trouver un langage littéraire ou cinématographique qui permette de voir les choses telles qu’elles sont. C’est aussi simple que cela. Et aussi très compliqué, ça ne peut pas être léger. Mais c’est excitant.
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Le face-à-face avec la femme de votre père est éprouvant, violent, voire… Aujourd’hui, en y réfléchissant, comment analysez-vous ses réactions ?
Ce sont ceux de quelqu’un qui a fait un choix. Continuer à dire que son mari était une personne merveilleuse pour ne pas perdre la face, ne pas risquer de perdre sa respectabilité sociale et ne pas assumer la honte de l’inceste. C’est une attitude courante, qui oblige la victime à porter seule cette honte sur son dos.
Suite à cette rencontre, cette femme ainsi que votre demi-frère et votre demi-sœur ont porté plainte contre vous. Violence ultime…
Oui, et aussi un système classique de renversement et d’inversion de la violence. La honte de l’accusation retombe sur la victime.
Si votre film montre bien l’horreur de la parole (dés)nie, il laisse aussi espérer qu’il est possible d’écouter – notamment lorsque l’on dialogue avec sa fille Léonore. Pensez-vous qu’avec la liberté d’expression qui s’impose actuellement, la société va (enfin !) commencer à vraiment écouter les victimes d’inceste et de violences sexuelles ?
Nous pourrons écouter les victimes à partir du moment où nous cesserons de considérer les plus riches, les plus cultivés, les plus puissants comme supérieurs, et de leur donner tous les pouvoirs. Tant que c’est comme ça, il n’y a aucune raison pour qu’il arrête d’en abuser.
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Saskia Galitch est journaliste depuis 1987. Actuellement au Femina et au Matin Dimanche, elle collabore aux rubriques Société, Culture, Bien-être et Santé ou Sciences.Plus d’informations
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