Hayao Miyazaki enchante petits et grands depuis des décennies avec ses dessins animés à l’univers riche et unique, à la fois glauque et enchanteur, entre ombre et lumière. À quelles sources puise son imaginaire onirique, peuplé d’enfants débrouillards et d’étranges créatures surnaturelles ? Quel est son message ? Et comment fonctionne ce magicien de l’animation ? C’est à ces questions et quelques autres que répond le documentaire de Léo Favier Miyazaki l’esprit de la natureà voir sur Arte.tv jusqu’au 19 mars 2025.
Né en 1941, Hayao Miyazaki grandit dans un Japon dévasté par la Seconde Guerre mondiale. Ses premiers souvenirs sont liés à la violence des bombardements dans son pays. Il est marqué à vie. Maintenant, “jeSes créations sont issues d’idées que j’ai eues durant mon enfance”explique le maître dans ce film riche en archives, analyses et témoignages de proches. Une enfance qu’il dit regretterne pas en avoir profité autant que j’aurais pu« .
Profondément inquiet de l’état du monde et pessimiste quant à l’humanité et à sa capacité à se réformer, le réalisateur a toujours voulu réconforter les enfants et leur redonner espoir avec ses films. Cependant, “étant donné la réalité qu’ils traversent, les encouragements ne suffisent plus »estime-t-il au milieu des années 90.
Ce pessimisme donnera naissance à la formidable fable écologique Princesse Mononoké (1996), qui l’a fait connaître dans le monde entier, après avoir connu un grand succès au Japon, même si le réalisateur avait plus de 55 ans. Dernier film d’animation de cette envergure, entièrement dessiné à la main et peint image par image (144 000 au total !), ce film sombre et violent dans lequel les divinités de la forêt luttent contre des humains qui menacent de détruire la nature, “ccontiennent à la fois ses convictions les plus politiques et ses doutes les plus intimes. ».
Le documentaire part de ce long métrage pour nous raconter l’histoire de cet écologiste convaincu de longue date. Dès ses débuts, avec Le château de Cagliostro (1979) et Nausicaä de la Vallée du Vent (1984) – dont le succès au Japon conduit Hayao Miyazaki à créer le Studio Ghibli avec Isao Takahata en 1985 –, puis avec les chefs-d’œuvre Le château dans le ciel (1986), Mon voisin Totoro (1988) et Ponyo sur la falaise (2008), il n’a cessé de sensibiliser les jeunes à la nécessaire préservation de la planète.
On voit ici ce perfectionniste à l’œuvre, oscarisé du meilleur film d’animation en 2003 pour Le voyage de Chihiro (2001), dessinant et rectifiant fébrilement ses planches, réfléchissant, doutant et s’inspirant au fur et à mesure, sans savoir d’avance comment ses films se termineront, condamnant ses collaborateurs à travailler sans relâche.
Fasciné par les arbres, Miyazaki pense que «nous sommes tous nés de la forêt » et toute son œuvre interroge notre rapport au vivant. Dans ses films, qui sont souvent des fables initiatiques, l’être humain fait partie de la nature et ne se distingue pas des autres organismes qui la peuplent, qu’ils soient vivants ou inanimés comme les pierres.
Dans son univers, la nature, des forêts aux vents et océans, a une âme, et il suggère que l’humanité devrait entretenir avec elle une relation de collaboration et de respect, sur un pied d’égalité. Une vision animiste profondément japonaise. Parce que “au Japon, la nature n’existe pas en tant qu’entité extérieure à l’homme »explique l’anthropologue Philippe Descola, évoquant «un shintoïsme rural ».
Méprisée et défigurée par les humains avares et leur société industrielle, la nature se venge : généreuse, elle peut aussi se montrer féroce. En mettant en lumière le contexte dans lequel ont été réalisés les films du maître, Léo Favier montre qu’ils correspondaient souvent à une catastrophe, qu’il s’agisse de la pollution au mercure de la baie de Minamata ou du tremblement de terre meurtrier. de Kobé.
« J’ai entendu dire que Ghibli est doux et réconfortant. J’ai une envie irrésistible de détruire cette idéeexplique Miyazaki. Si nous ne répondons pas aux enjeux actuels de notre époque, faire des films n’a aucun sens.« Ailleurs, il ajoute : »Quel que soit le degré de chaos, nous n’avons d’autre choix que de continuer à vivre« . À cet égard, ses merveilleux films nous apportent un profond soutien.
« Miyazaki, l’esprit de la nature », documentaire (2024) de Léo Favier (1h22) est disponible jusqu’au 19 mars 2025 sur Arte.tv