Vétéran de la Seconde Guerre mondiale, George Stevens a insufflé à son western de 1953 une mélancolie et un sentiment de différence qui resteront dans l’histoire.
Di Julien Welter
Publié le 16 décembre 2024 à 20h00
CCe fut le plus grand succès public du western des années 1950. L’homme des vallées perdues nous propose un scénario banal – un cow-boy solitaire vient en aide à une famille d’agriculteurs persécutée par un grand propriétaire terrien – mais avec plus de lyrisme, de complexité et d’excentricité. George Stevens, au sommet de sa gloire (entre les deux Oscars pour Une place au soleil et géant), film du point de vue du fils de fermier, Joey, fasciné par Shane, le flingueur rédempteur, comme des millions de gamins de l’époque. Mais ce choix permet d’évacuer toute rationalité au profit de l’émotion, du fantastique et de la mythologie. Nous sommes plus proches de La nuit du chasseur E Contrebandiers de Moonfleet de quoi Le prisonnier du désert.
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« The Lost Valley Man », de George Stevens : un western classique
Des sons amplifiés
Cependant, Stevens insiste sur le sérieux, voire le réalisme. Après avoir filmé la libération du camp de Dachau aux côtés des troupes américaines, il est à la fois dégoûté par le romantisme de la violence et obsédé par le sacrifice consenti par le héros libérateur, qu’il soit soldat ou cow-boy. Shane est un bon déclencheur qui porte ses exploits comme une croix. Contrairement à ce que voit Joey, le recours à la force le dévaste. Dans L’homme des vallées perdueson tire très peu, mais chaque coup de feu a un impact dévastateur, d’autant que Stevens innove en amplifiant ces bruits : un technicien tire dans une poubelle métallique et enregistre les réverbérations ! Et lorsqu’un malheureux, touché par une balle de Colt 45, s’effondre devant un saloon, il est violemment rejeté à l’aide d’un harnais, encore une première dans le domaine technique. Stevens enfreint également la règle hollywoodienne selon laquelle le coup de feu et sa victime n’apparaissent jamais dans le même cadre.
Effets de lumière
Le réalisateur a passé un an à explorer le Wyoming et à « auditionner » 1 500 chevaux avant de trouver la bonne monture pour Shane. Les décors sont boueux, mais le Technicolor est onirique, les costumes portés et le bétail affamé, mais Stevens conserve dans nombre de ses plans des variations de luminosité très spectaculaires, rarement tolérées par les cinéastes. Le rythme est contemplatif, mais les plans sont souvent très courts, en totale contradiction avec le genre western. Quant à Shane, avec ses daims légers et sa ceinture scintillante, il ressemble à un jouet. Lorsqu’il apprend à Joey à tourner, plus d’une centaine de prises et sept jours de tournage sont nécessaires (comme pour les repérages, une année sera consacrée au montage, donc au ré-montage du film). Stevens s’affirme enfin auprès de son actrice fétiche, Jean Arthur, une quinquagénaire dix ans de plus qu’Alan Ladd, qui incarne Shane. Son personnage de matriarche américaine tombe amoureux d’elle et son mari (joué par un Van Heflin également plus jeune) l’accepte naturellement.
Malgré toute son audace (à l’époque), ce « sur-western » (terme péjoratif pour désigner la tentative d’intellectualisation du genre) reste unique. Sam Peckinpah, Sergio Leone, Clint Eastwood lui doivent beaucoup. Tout comme Martin Scorsese (la réplique de Chauffeur de taxi, “Est-ce que tu me parles?” Je ne vois personne d’autre ici ! », apparaît pour la première fois dans ce film), James Cameron (avec son cyborg protecteur en Terminateur 2) et les super-héros mélancoliques d’aujourd’hui. Dans Logan, Charles Xavier (Patrick Stewart) garde L’homme des vallées perdues à la télé avec la fille de Wolverine.
Q Lundi 16 décembre à 20h50 sur Arte e Arte.tv.