Yvan Ischer, mémoire du jazz joué en Suisse

Yvan Ischer, mémoire du jazz joué en Suisse
Yvan Ischer, mémoire du jazz joué en Suisse

Enregistrements de concerts

Yvan Ischer, mémoire du jazz en Suisse

Née grâce à la volonté de l’animateur de la RTS, la collection de disques «Journées de la radio suisse», documentant des concerts musicaux mémorables, fête ses 30 ans.

Publié aujourd’hui à 18h02

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Bref:
  • Yvan Ischer a créé une collection d’enregistrements de concerts de jazz en Suisse.
  • Il parle de la vitalité du jazz parmi les jeunes musiciens suisses.

Il ne faut pas désespérer de la gendarmerie. Il y a quelques jours, une voiture de la police vaudoise s’est introduite dans la maison par Yvan Ischer. L’animateur de radio, producteur, musicien de jazz et journaliste de 63 ans n’est pas chez lui. C’est l’une de ses trois filles qui ouvre la porte à l’agent, qui lui annonce vouloir parler à son père. “Pour quoi?” elle s’inquiète. “Pour lui annoncer le décès d’un proche.”

Secondes de panique… le responsable précise : « Un ami aux Etats-Unis. » La jeune fille laisse échapper, comme une triste exclamation, le prénom d’un vieil ami, là-bas, de son père. “Ah, non”, répondit le policier, “c’est le monsieur qui nous a appelé d’Amérique.” Puis les agents prennent le billet sur lequel ils ont inscrit l’identité du mort, dont Ischer doit être informé au plus vite : « Un certain Roy Haynes ».

Il ne faut pas désespérer du jazz. La mort à l’âge de 99 ans, le 12 novembre, trois semaines avant l’arrivée des forces de l’ordre, du légendaire batteur de bebop est à la fois la preuve que cette peut survivre et le rappel qu’elle parle encore du siècle. C’est ce qui frappe comme un big bang (désolé, groupe), lorsque l’on rencontre Yvan Ischer.

Une trompette comme “les oiseaux dans le ciel”

Dans un bistrot lausannois, il vous parle des Chocolate Dandies avec Benny Carter, un tube de 1933 qui ne vous a visiblement jamais traversé les oreilles, et vous explique que ce sont là quelques-unes des facettes les plus étonnantes de la musique du XXe siècle.e siècle. Au cours de la conversation, le phénomène se reproduira encore et encore. Digressions vers un autre miracle, un autre superlatif, un disque « fou », un concert « époustouflant », une mélodie « incroyable », les notes d’une trompette comparées aux « oiseaux du ciel ».

Il parle sans s’arrêter, Ischer, ça sonne comme un solo de sax de Paul Gonsalves, rapide, joyeux, hanté. Il a écouté plus de jazz que vous ne le ferez jamais. Il a rencontré plus de génies de cette musique que vous ne pourrez jamais en rencontrer. De - en -, il frise la condescendance : “Il faut écouter ça, je pense que tu es mature maintenant.” Il le dit certes en riant, avec une belle dérision, entre deux jeux de mots, mais une sincérité transparaît : il se veut le grand transmetteur du jazz, se tient toujours droit pour en souligner sa véritable gloire. « Le jazz doit être une musique sérieuse, puisque tant de gens sont morts pour cela. » Gillespie a dit ça.

Mauvais dormeur

Il ne faut pas désespérer de la colère. Yvan Ischer est un mauvais dormeur capable de se brouiller avec plein de monde, collègues, promoteurs, amateurs, sur ce qu’il faut penser de Chet Baker ou Miles, Ellington ou Erik Truffaz. Son père l’initie au jazz dès son enfance et ce sont ensuite des milliers de rencontres. Alors, lorsqu’il doit faire exister le jazz, Ischer peut se montrer insolent, agaçant, mais aussi merveilleux, drôle, attachant.

Chez ses amis, une plaisanterie récurrente consiste à basculer la conversation sur la bande originale de « Bird », d’Eastwood. Ischer avait détesté dans ce film la manière de « gommer » la section rythmique originale des années 1940 pour la faire rejouer, en termes de qualité sonore, par des musiciens contemporains. Cela le rendra toujours fou, cette attaque contre la vérité, contre le respect dû à cette musique.

Puriste? Il déteste ce mot, et il a raison, il ne veut rien dire : animateur depuis 1987 de « JazzZZ » sur RTS Première et de « La note bleue » sur Espace 2, il a les oreilles ouvertes à tous les styles, à tous les genres, s’ils le souhaitent. se construisent sur une force, une émotion, une ambition. Il est lui-même un bon saxophoniste, a publié quelques disques, et cette façon de connaître la technique, l’histoire, la production du jazz, les artistes, est un cas tout à fait unique en Suisse romande, sans doute au-delà.

Déterrer des pépites

Il ne faut pas désespérer des records. Si nous nous rencontrons, c’est pour parler d’une collection d’enregistrements de concerts en Suisse, dont l’existence lui doit presque tout. Dans les années 90, la Radio Suisse Romande s’est rendu compte qu’elle possédait dans ses archives de nombreux joyaux, des enregistrements de grands noms du jazz passés par ici. On ne sait pas trop quoi en faire, l’idée est de les vendre au coup par coup aux gros majors maisons de disques internationales.

Mais Ischer se précipite vers la direction générale et propose de réaliser une collection, labellisée RTS, qui fête ses 30 ans et 50 albums. Débutée en 1994 avec la publication d’une soirée mythique du big band de Quincy Jones à Lausanne en juillet 1960, cette série des « Journées de la radio suisse », sous le label TCB, est aujourd’hui l’une des plus redoutables au monde.

Suivront au hasard Nat King Cole à Zurich en 1950, Ben Webster et Dexter Gordon à Baden en 1972, Ray Charles à Zurich en 1961, Sonny Rollins et Horace Silver, toujours à Zurich en 1959, etc. Les volumes 48, 49 et 50 sont sortis un il y a quelques jours.

L’Italien Dado Moroni, l’un des immenses pianistes du continent, a été arrêté à Morges en 2009 en compagnie du merveilleux batteur Peter Schmidlin, fondateur du label TCB, décédé trop tôt. Marc Copland, pianiste originaire de Philadelphie, émule de Bill Evans, s’est enregistré à Lausanne en 2022, dans un exercice périlleux où il joue en compagnie de lui-même. Enfin, Louis Armstrong et sa bande, en 1952 à Lausanne. On entend les gens crier de joie, on est époustouflé par cette puissance, ce swing comme une fête à tout moment. Heureusement, quelqu’un à la radio a eu l’idée d’apporter un magnétophone.

Musique de jeunesse

Il ne faut pas désespérer de la jeunesse. Yvan Ischer, à deux ans de la retraite, ne se sent pas comme un vétéran. Il ne considère pas le jazz comme une chose du passé, une musique sur la défensive, un vestige économico-artistique en voie de disparition fétichisé par les fanatiques du col roulé. «Le nombre de jeunes musiciens qui jouent mal en Suisse est stupéfiant.» Il rappelle qu’il existe au moins sept classes professionnelles de jazz dans le pays, soit plus que dans toute la . « Ça veut dire quelque chose ! »

Dans la petite brasserie où nous déjeunons, il doit être 14 heures et quart, les clients sont partis, il y a moins de bruit. La musique de fond attire l’oreille. Un hit Hancock de 1973. La serveuse, une vingtaine d’années souriante, arrive. Elle confie jouer du jazz toute la journée, « depuis 7 heures du matin ». Ce disque d’il y a cinquante ans ? Elle rit : « Herbie, il a trois cents ans d’avance sur son -, ce type. » Nous nous regardons. Yvan Ischer, surpris, a l’œil mouillé. Tout va bien, d’autres viendront après nous.

À écouter : « Journées de la radio suisse, vol. 48. Louis Armstrong et ses All Stars, Lausanne, 1952 » ; “Vol. 49. Marc Copland, « Alter Ego », Lausanne, 2022 » ; “Vol. 50. Trio Dado Moroni, Morges 2009.

Christophe Passerborn in Fribourg, has worked at Le Matin Dimanche since 2014, after having worked in particular at Le Nouveau Quotidien and L’Illustré. Plus d’informations

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