Emil Ferris aime toujours les monstres

La suite française du roman graphique Ce que j’aime, ce sont les monstres d’Emil Ferris était tellement attendu qu’avant même sa sortie au Québec, l’imposant volume figurait déjà au palmarès en raison des précommandes.

Rappelons qu’en 2017, avec la publication de Mes choses préférées, ce sont les monstresEmil Ferris était un parfait inconnu dans le monde de la bande dessinée. Son extraordinaire livre de plus de 400 pages, entièrement dessiné au stylo à bille, qui prend la forme du carnet privé de Karen Reyes, une enfant douée pour le dessin qui vit dans le Chicago lugubre des années 1960, a connu bien des tribulations avant sa publication. . Puis il a attiré l’attention de l’éditeur Antoine Tanguay de la Maison Alto à Québec, qui a publié la version française Monsieur Toussaint Louverture en . L’accueil fut énorme, en anglais comme en français, notamment parce que le talent d’Emil Ferris fut salué par le célèbre Art Spiegelman, créateur du chef-d’œuvre Mausen plus d’être récompensé par trois prix Eisner et le Fauve d’or au festival d’Angoulême.

Pour l’occasion, je suis allé rencontrer Emil Ferris à Chicago, sa ville natale, en 2018. Souvenir mémorable d’une visite avec elle à l’Art Institute où elle m’a montré les œuvres qui ont inspiré plusieurs planches de sa bande dessinée, puisque son personnage passe une beaucoup de - dans ce musée. Cette fois, je la contacte par téléphone à Milwaukee, dans le Wisconsin, où elle a déménagé car les loyers sont devenus trop chers à Chicago.

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ARCHIVES PHOTOS AGENCE FRANCE-PRESSE

Emil Ferris en 2018

Comme il a fallu attendre six longues années avant de tenir ce deuxième tome entre nos mains, j’en ai profité pour lui demander comment elle voit aujourd’hui tout ce qui lui est arrivé depuis le succès du premier tome. « Ma vie est toujours consacrée à la création d’un livre », dit-elle. C’est de là que je tire mon plaisir, et cela n’a pas changé. J’ai toujours créé des histoires, et la plupart d’entre elles n’ont pas été publiées. La différence maintenant, c’est que quand je regarde ce matériel inédit, je pense qu’il y a peut-être un public pour ça, peut-être que je peux l’offrir au monde. C’est excitant de sentir qu’il peut y avoir un accueil, se faire remarquer, que c’est important pour les gens. C’est un énorme cadeau pour moi, ça a changé ma vie. »

En effet. Avant son entrée fracassante sur la scène de la bande dessinée, Emil Ferris était une illustratrice en difficulté, suite à une série d’épreuves dans sa vie personnelle.

En 2001, lors de son 40e anniversaire, elle contracte une forme grave du virus du Nil qui la laisse presque paralysée. Dessiner sans relâche lui redonne sa mobilité. Elle a essuyé des dizaines de refus pour la première version de son manuscrit. Être attendu aujourd’hui par tant de lecteurs est donc effectivement un cadeau, malgré des attentes qui n’existaient pas dans le premier livre, que personne n’avait vu venir. « Mais tant que je pensais aux lecteurs, je me sentais inspirée, et c’est tout ce qui compte », confie-t-elle, rappelant son amour pour le public francophone, particulièrement investi dans son travail.

Chicago comme une maison hantée

Dans cette deuxième partie de Ce que j’aime, ce sont les monstresnous reprenons l’histoire là où elle s’est arrêtée. Après la mort de leur mère, Karen et son frère Deeze (qui se livre à toutes sortes de manigances) se retrouvent seuls au monde dans cette ville dangereuse. Karen, qui apparaît comme un lycanthrope portant un imperméable de détective, continue d’enquêter sur la mort de sa voisine Anka, une survivante de l’Holocauste. Mais elle connaît aussi une autre transformation : la puberté, où elle se découvre une attirance pour les filles.

Emil Ferris continue de représenter la ville de Chicago de son enfance, qu’elle décrit comme un château hanté. Elle explique qu’après les somptueuses constructions des années 1920, la ville est tombée en ruine pendant des décennies après la Grande Dépression des années 1930, ce qui a en même - donné un caractère étrange à l’environnement. « Ce n’était pas un joli Chicago, c’était un Chicago avide », se souvient-elle. Un lieu véritablement sombre, hanté par les fantômes du passé, et les nouveaux habitants, issus de milieux difficiles, étaient en état de traumatisme. »

Mais Karen, avec toute la passion de son imagination et l’aide de son frère et de ses amis, se débrouille dans ces plaines où elle trouve toujours de la beauté. Emil Ferris la considère comme son guide et la plus dure des rédactrices.

Quand les gens me demandent pourquoi faire ce livre a mis autant de -, c’est parce que c’est difficile, ça prend du -, parce que ce n’est pas moi que je satisfais, je satisfais [le personnage] Karène.

Émile Ferris

Dessiner le carnet de Karen avec toutes ses émotions et ses sous-entendus, c’est tout le défi et l’originalité de ce superbe roman graphique. « Travailler sous forme de journal signifie que le dessin inspire le texte autant que le texte inspire le dessin. Karen me parle entre les lignes. Et je n’oublie pas le monde dans lequel elle évolue, qui affecte constamment ce qui est mis sur la page. »

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PHOTO WHITTEN SABBATINI, ARCHIVES DU NEW YORK TIMES

Emil Ferris en 2017

Karen aime les monstres (comme Emil Ferris), et ils n’en manquent certainement pas autour d’elle, mais elle connaît la différence entre les bons et les mauvais monstres, et même le côté obscur que nous avons tous, qu’elle ne voit pas. n’est pas exonéré. Dans une Amérique qui vient de réélire Donald Trump, quel genre de monstres avons-nous aujourd’hui ? Emil Ferris a sa propre façon de voir les choses. Elle n’espère plus rien de la classe politique, car elle estime qu’elle n’a jamais représenté les gens qui font ce pays. « En général, et presque toujours, la classe politique est issue des couches les plus riches de la société, et ils ne semblent pas avoir les mêmes expériences que nous, ni penser comme nous. Elle fait souvent des choses qui sont mauvaises pour nous. Donc je ne mets pas beaucoup d’espoir, ni à droite ni à gauche, car c’est un ptérodactyle qui n’aime pas les gens. [rires]. »

Emil Ferris préfère mettre ses espoirs dans les gens ordinaires, les 99% qui construisent malgré tout notre société. « Il y a tellement de gens qui créent le monde dans lequel je veux vivre. Nous devons comprendre que le monde n’appartient pas aux politiciens, il nous appartient. »

Il n’est pas encore prévu qu’Emil Ferris vienne à Montréal, ville qu’elle adore, où elle a séjourné il y a quelques années à la Maison de la littérature, « un lieu hanté, pour de vrai ! », dit-elle avec ravissement. Elle est également en pleine création, Karen ne lâche rien, et il ne faudra pas attendre aussi longtemps le prochain tome, qui sera un avant-épisode de Ce que j’aime, ce sont les monstresà paraître l’année prochaine. « C’est comme une intelligence non humaine, presque divine, qui guide mon travail », dit-elle. Quoi qu’il arrive, la force de ma vie c’est que je dois raconter des histoires, tout est au service du livre, qui doit sortir, qui est désormais clair pour moi. »

Ce que j'aime, ce sont les monstres – tome deux

Ce que j’aime, ce sont les monstres – tome deux

Émile Ferris

Alto

416 pages

 
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