A l’occasion du centenaire du Manifeste surréaliste cette année, Chemins d’écriture revient, avec le Guadeloupéen Daniel Maximin, sur la rencontre entre Breton et Césaire pendant la Seconde Guerre mondiale. Entre le pape charismatique du surréalisme et Césaire, chanteur et fondateur de la négritude, il y avait admiration et complicité mutuelles. Leur communion, dit Maximin, a contribué à façonner l’imaginaire de l’époque.
L’histoire reste gravée dans la mythologie littéraire du XXe siècle. C’était la rencontre de deux géants de la littérature du siècle dernier.
Circonstances
Nous sommes en 1941. Avec d’autres intellectuels et artistes menacés par Vichy France et la guerre, André Breton fuit l’Europe. A Marseille, il se lance dans le Capitaine Paul Lemerle à destination des États-Unis. Le navire fait escale à Fort-de-France où les exilés français sont contraints de rester plusieurs semaines en attendant le passage du navire qui les emmènera à New York.
« Les exilés arrivent sains et saufs, dit le romancier Daniel Maximindans une Martinique fasciste où ils sont accueillis à la descente du bateau par les gendarmes qui les mettent dans un camp. Pas un camp de concentration, mais un camp où ils ne sont pas libres, avec seulement du - pour aller acheter de la nourriture ».
Rencontre
André Breton est l’un des rares voyageurs à bénéficier d’une autorisation de résider dans la ville. C’est alors qu’il se rendait dans une mercerie pour acheter un ruban pour sa fille de cinq ans qui accompagnait le couple breton, que le poète découvrit le premier numéro du magazine Tropiques qui venait d’être lancée par un groupe de jeunes professeurs du célèbre lycée Schoelcher, sous l’égide d’un certain Aimé Césaire.
En feuilletant le dossier, le poète tombe sur la préface. signé par Césaire, l’animateur principal de l’exposition : « Partout où nous regardons, l’ombre gagne. Les maisons s’éteignent les unes après les autres. Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre ».
Breton se reconnaît dans cette annonce. Il s’y reconnaît car ces lignes font écho à ce qu’il a lui-même ressenti en quittant l’Europe où se répandait alors l’idéologie hitlérienne. Le nombre de Tropiques qu’il venait de découvrir contenait également des poèmes. Cette nouvelle poésie antillaise, en révolte contre la tradition « doudouiste » dominante de l’île, rejoint les objectifs de la révolution permanente du surréalisme et prône le rejet des valeurs de la société bourgeoise. ” La poésie martiniquaise sera cannibale ou elle ne le sera pas », proclamaient les poètes Tropiques.
« Breton est fasciné par ce qu’il entend, Massimino continue. C’est exactement ce qu’il fallait dire. C’est extraordinaire. Il comprenait aussi certaines choses de l’échec surréaliste qu’il regrettait à l’époque, car quelque part il n’avait pas réussi à faire le lien entre Marx et Rimbaud. André Breton a reconnu ce qu’il recherchait et ce qui lui avait en quelque sorte manqué : un engagement, une poésie qui parle à tout le monde et en même - dotée d’une grande rigueur esthétique dans la modernité la plus ouverte. Et il a dit, mais ils étaient là, ils l’ont fait ».
Mais qui sont ces « ils » auxquels Maximin fait référence ? Essentiellement René Mesnil, Aimé et son épouse Suzanne Césaire, qui furent les principaux animateurs du magazine Tropiques. Sous le nez et la barbe des pétainistes qui administraient alors l’île, ces courageux auteurs publièrent leur revue dissidente et avant-gardiste, désireux d’inventer et d’exprimer une authentique Antillanité.
André Breton, qui les rencontrait régulièrement lors de son séjour en Martinique et découvrait en leur compagnie l’île, ses collines et ses forêts, était fasciné par eux. C’est ce qui ressort de ses futurs écrits sur la Martinique et surtout de la préface qu’il rédigea en 1947 pour la nouvelle édition de Carnet du retour à la ville natale di Aimé Césaire, un’opera che definisce “il le plus grand monument lyrique de cette époque « . Césaire, de son côté, a déclaré : « être fasciné » du breton, de son « sens surprenant de la poésie “, mais a refusé de s’auto-proclamer” surréaliste ».
L’admiration n’est pas une imitation
Explication du sens de ce refus par Daniel Maximin : « C’est Breton qui fut soumis par Césaire. Ce n’est pas Césaire qui a dit que maintenant j’imiterai le pape Breton qui me dira comment il faut écrire. Pour Césaire, il ne s’agissait pas d’imiter les surréalistes et de faire comme eux, puisque ses prédécesseurs ont d’abord imité les Parnassiens, en faisant en sorte que dans nos poèmes on ne voie que des noirs, il faut que ce soit comme chez Leconte de Lisle, comme à Hérédia, etc. Le surréalisme de tous ces jeunes écrivains, peintres, indiens, cubains, etc. ce n’est pas une copie de quelque chose qui a été donné par une affiche française, mais qui est une expression de la plus grande authenticité et que le poète surréaliste vient reconnaître et célébrer. Césaire le dira : l’arrivée de Breton m’a rassuré sur ce que nous faisions, et il ne m’a pas dit quoi faire, parce qu’il avait fait ce qu’il fallait faire. Breton n’était pas un maître, il était un égal. C’est pourquoi quelque chose de très fort est ressorti de cette rencontre, dans les deux sens. Césaire et les autres Antillais n’avaient pas besoin de maîtres, ils étaient déjà sous leur contrôle. Il ne s’agissait pas de tomber dans un nouveau colonialisme culturel ».
En effet, résistant à toute forme d’assimilation, Césaire se définit comme un éternel rebelle. C’est en s’appuyant sur l’idée alors révolutionnaire de « négritude » qu’il avait imaginée sur les bancs de la Sorbonne, avec son condisciple, le Sénégalais Senghor, que le poète de Carnet de notes qui fut également maire de Fort-de-France et député de son île, a longtemps reconstitué les recherches littéraires et politiques de son peuple antillais.
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Le Grand Camouflage. Écrits de dissidence (1941-1945) de Suzanne Césaire. Édition fondée par Daniel Maximin. Editions du Seuil, 125 pages, 15 euros. (2015)