Longtemps applaudi lors de la première projection marocaine de son dernier long métrage, Tout le monde aime ToudaEn marge de la 21ème édition du Festival International du Film de Marrakech, Nabil Ayouch confirme une nouvelle fois son talent incontesté. Avec cette nouvelle œuvre, le réalisateur rend un vibrant hommage à Chikhafigure artistique longtemps marginalisée au Maroc, incarnée avec brio par la talentueuse Nisrin Erradi.
A cette occasion, Expresso FR s’est entretenu avec le réalisateur franco-marocain Nabil Ayouch pour discuter des coulisses et des inspirations derrière cette œuvre phare.
« Tout le monde aime Touda » cherche à redonner de la crédibilité aux Sheikhat, personnalités autrefois respectées mais désormais marginalisées. Qu’est-ce qui vous a inspiré à explorer leur histoire ?
Ce sont des femmes, les Cheikhat, que j’admire depuis très longtemps, depuis la première fois que je les ai rencontrées car elles m’ont fait l’honneur de me demander de mettre en scène le spectacle d’ouverture du Heure du Maroc en Franceen 1999. C’était au château de Versailles et j’ai signalé Cheikhats. J’ai éteint toutes les lumières de la Battle Room, l’une des plus grandes salles du château, longue de 110 mètres, pour la plonger dans l’obscurité. Je leur ai demandé de pousser leur”Aïta» devant un public qui n’avait jamais entendu cette chanson auparavant, et dès cette première rencontre j’ai été très ému.
Depuis, mon chemin a croisé celui de ces femmes que j’admire de loin depuis très longtemps. Ils sont apparus dans certains de mes films, comme Les Chevaux de Dieu ou Razzia. Je me suis toujours dit qu’un jour je ferais un film dédié exclusivement à l’un d’entre eux. Cette idée s’est concrétisée après ma rencontre avec Nisrin Erradi sur le film de Maryam Touzani, Adam. Puis j’ai compris que ce serait elle qui jouerait Touda, et cela m’a donné envie de rencontrer d’autres Cheikhat, d’écouter leurs histoires, leurs histoires, leur solitude, leurs souffrances, leurs espoirs et leurs rêves. C’est comme ça que j’ai écrit Everybody Loves Touda.
Nisrin Erradi a suivi un entraînement intensif pour jouer Touda. Pouvez-vous nous parler de votre immersion dans cet univers ?
J’ai dit à Nisrin qu’on ne perdrait pas de - au casting, parce que Touda c’était elle. C’était décidé depuis le début. Nous avons utilisé ce - pour la formation et le coaching. Elle y est parvenue, au contact d’autres cheikhs, comme feu Khadija El Bidaouia – qui nous a quittés lors de la préparation et nous a laissé un petit héritage. théorie que Nisrin utilise dans le film –, ou encore Houda Nachta et Siham El Mesfiouia, apprenant à chanter, danser, bouger et parler comme elles. Vous l’avez vu dans le film, les Cheikhats ont leur propre langage et leurs propres codes.
Nisrin a consacré un an et demi à cette immersion pour être crédible et authentique dans ce rôle. À cela s’ajoutait son talent d’acteur, qui donnait ce que l’on voyait à l’écran. Ce fut un réel plaisir de travailler avec elle.
L’image et Nisrin étaient superbes, mais tu as gardé sa voix. N’était-ce pas trop risqué ?
Certaines chansons sont interprétées par Nisrin elle-même, mais pour d’autres, ce n’est pas sa voix. Il était doublé par un chanteur, en fonction de la hauteur et de la complexité des chansons. Vous savez, le Aïta nécessite une voix spéciale. Ce choix a été fait M’hamed El Menjra, producteur de musique marocain.
Votre travail explore souvent les paradoxes sociaux et dans ce film vous opposez la beauté de la musique à la brutalité des pressions sociales. Comment avez-vous équilibré ces deux contrastes ?
C’est exactement comme ça. La vie des Cheikhats est marquée par un paradoxe entre le bien et le mal. Le mauvais, c’est le monde de la nuit, cette vision des hommes qui les considèrent comme des objets de désir, la brutalité qu’ils subissent, le risque et le danger d’aller chanter dans des endroits parfois difficiles. Beaucoup les considèrent comme des femmes promiscuité ou des prostituées. En outre, ” Cheikha » est malheureusement devenu une insulte pour beaucoup.
Je voulais montrer que ces femmes sont belles et que leur art, le Aïtaelle fait partie intégrante de notre patrimoine marocain. Nous devrions être fiers d’eux, tout comme nous devrions être fiers d’eux. Ils ont joué un rôle fondamental dans l’histoire de ce pays depuis le XIXème siècle, notamment lors de la lutte pour l’indépendance durant le Protectorat.
A travers ce film, j’ai voulu leur rendre hommage et restaurer leur dignité et leur honneur. La beauté, c’est cet art, leur force, leur lien avec la nature. J’ai construit le film sur ce paradoxe entre la beauté et la douleur.
Vous avez projeté « Tout le monde aime Touda » pour la première fois au Maroc au FIFM. Quand le film sortira-t-il officiellement dans les cinémas du Royaume ?
C’était une projection importante hier au Festival du Film de Marrakech. C’était la première rencontre avec le public marocain. Cette rencontre est fondamentale, même après avoir fait le tour du monde, de Cannes aux autres festivals. Rien ne remplace cette complicité, surtout pour un film empreint de marocanité.
Inchallah, la sortie officielle est prévue pour le 11 décembre 2024. Dès la semaine prochaine le film sera dans toutes les salles du Royaume.
Vous travaillez sur un nouveau projet ? Pouvez-vous en dire un mot ?
Oui, mais c’est toujours confidentiel. Malheureusement, je suis un peu superstitieux. S’il vous plaît, permettez-moi de garder le silence pour le moment.