Toute sa vie, il a eu peur de s’effondrer si sa perfection était ébranlée. Mais cette fois, Demi Moore ne cache rien. Mieux encore, laissez tout tomber. A commencer par la peur d’être un produit hollywoodien avec une date de péremption. Le début de « The Substance » donne le ton : un bouffon au costume flashy, un clown du showbiz à la fois cochon et boucher, termine sa carrière en la traitant de « vieille peau ». Son ancien personnage télé, le féminin Faust, découvre un sérum jeunesse qui agit à une condition : qu’elle réintègre son corps toutes les deux semaines. Le pacte est rapidement détruit, tout comme le corps.
Ce film de genre très dérangé nous transforme en voyeurs dégoûtés, en petit vautour face aux dimensions vertigineuses de l’alter ego incarné par Margaret Qualley et à l’horrible métamorphose de Demi Moore. Il débute en tant que préparateur physique, version de Dorian Gray. Fin : Barbie sous le pinceau de Jérôme Bosch. Un enfer de chair. La star confie que ce phénomène cinématographique l’a libérée. Les combats contre son propre corps, la haine de soi ? La chance de vivre une autre jeunesse et de se rebeller ? Il lui parle, oui.
A 15 ans, un homme l’a violée
La moitié pour Demetria Guynes ; le prénom est tiré d’une publicité pour un shampoing dans un magazine. Pureté du papier couché mais fléau des souvenirs. Freshness est décédée avant l’âge de 10 ans, la main dans la bouche d’une mère suicidaire. « Je me souviens avoir utilisé mes doigts, mes petits doigts, pour extraire le médicament », écrit-il dans ses Mémoires, « L’autre côté d’une vie » (éd. Massot, 2020), avant d’ajouter : « Mon enfance, c’était finie. » La nausée remplace l’innocence. Le garçon de Roswell, ville des ovnis, est ballotté entre le Nouveau-Mexique, la Pennsylvanie et la Californie, une série de déménagements et deux écoles par an. Profession des parents : alcooliques intrigants. Forcé de disparaître pour échapper aux agents de recouvrement.
Demi enquête en détail sur l’Amérique et les profondeurs du 20e siècle. Fille de fidèles des dieux de pierre : Perdocan, Valium, Quaaludes. Il souffre du syndrome néphrotique et, entre deux hospitalisations, il est témoin de leurs accès de mal-être, des appels à l’aide de Ginny, de la balle perdue de Dan quand, ivre de bière, il décide de nettoyer son arme dans la cuisine. A 14 ans, il apprend qu’il a le don d’un père biologique, Charles Harmon, lui aussi toxicomane. Un an plus tard, un homme la surprend chez elle, la viole puis lui brise le cœur : « Ça fait quoi d’être prostituée par sa mère pour 500 $ ? »
En surface, elle abrite la vie dont rêve la planète. C’est la guerre à l’intérieur.
Elle s’enfuit au lendemain de ses seize ans, abandonne ses études secondaires, pose pour Oui et les magazines de nu japonais, paie ses factures en faisant du mannequinat. L’adolescent comprend le pouvoir de son corps, il pense immédiatement que c’est le seul qu’il possède. Elle est alors impliquée dans le passé : à 36 ans, son père a donné sa vie en respirant les gaz d’échappement de sa voiture. Demi change de nom lorsqu’elle épouse Freddy Moore, un guitariste de Minneapolis, mais découvre ses origines : tout en décrochant un rôle dans “Central Hospital”, la série télévisée numéro un, elle se plonge dans l’alcool. Et lorsqu’on lui a proposé son premier rôle au cinéma dans « C’est la faute de Rio », elle a commencé à consommer de la coke. Trois grammes et demi de poudre tous les deux jours, prodigués par un dentiste et son conseiller financier qui semblent échapper à l’ironie de la situation. Soit il est consommé, soit il est consommé.
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A l’image de sa voix rauque, rocailleuse et brisée, il rejette l’insouciance en mode autodestruction, achète une Kawasaki et sillonne les fourrés de Los Angeles sans casque ni permis. Elle sort victorieuse de sa rééducation à 22 ans, mais entre-temps une nouvelle maladie la frappe : elle est maigre et pourtant on lui demande de perdre du poids pour une comédie romantique. L’actrice apprend son texte et, avec dégoût d’elle-même, meurt de faim et verrouille la porte de son réfrigérateur. Son corps deviendra une émotion sur une affiche, mais à l’intérieur c’est la guerre.
Son estime de soi s’effondre, sa carrière décolle. En surface, elle abrite la vie dont rêve la planète. Séparée de Freddy, Demi forme bientôt le couple le plus hot des années 80 avec Bruce Willis, future hot star de la saga « Die Hard ». Leur mariage, organisé par Little Richard dans les studios Warner Bros., est à lui seul une réussite. Ils ont eu trois filles en six ans et, bien avant la poésie de Kim Kardashian ou les dessins d’Elon Musk, ils ont lancé la tendance des prénoms baroques : Rumer Glenn, Scout LaRue, Tallulah Belle. Grâce à la grossesse, « une expérience belle, naturelle et puissante », elle passe des moments plus tendres avec son corps. Au point de poser nue, ventre à l’air libre, en couverture de “Vanity Fair”. Onde de choc. La photo culte d’Annie Leibovitz fracture l’Amérique, « pornographie dégoûtante » pour les uns, glorification divine de la maternité pour d’autres. A Hollywood, Demi Moore est la première à concilier ces deux mots : mère et sexy.
Elle est devenue l’actrice la mieux payée de l’histoire et Hollywood l’a surnommée « Gimme Moore » (« Donne-moi plus »).
Et aussi le premier à lutter pour l’égalité salariale. Son amie, l’actrice Gwyneth Paltrow, n’en doute pas : « Elle en a subi les conséquences, mais nous en avons tous profité. » En devenant l’actrice la mieux payée de l’histoire, Demi se voit attribuer une réputation de diva et un jeu de mots pour son surnom : « Gimme Moore » (« Donne-moi plus »). Elle est moquée et en colère : elle gagne toujours moitié moins que les hommes. Il voyage en jet privé, fréquente les hôtels où il y a un bouton « Tout ce que tu veux » sur les téléphones. » Mais rien n’y fait : « Quand on cache un puits de honte et de désespoir, aucune somme de richesse, de succès ou de renommée ne peut le combler. » Au cinéma, on tisse une filmographie dont on sent les fissures, choisissant des héroïnes aux prises avec leur propre corps et la loi des hommes. Elle aurait rejeté « Pretty Woman » et « Thelma et Louise », mais elle se sculpte à outrance pour « Proposition indécente », perd du poids à chaque fois qu’elle doit être nue et s’adapte au moule étroit du glamour. Demi Moore prend des risques, affronte les conventions pour mieux les confondre. Femme sexuellement agressive dans « Harassment », elle choque les hommes en Navy Seal avec des réponses musclées dans « On Equal Arms », elle outrage les femmes en maman strip-teaseuse dans « Striptease ».
A 35 ans, l’actrice a enfin l’occasion de faire la paix avec une partie de son histoire. La star de « Ghost » est appelée par un fantôme : sa mère, Ginny, qu’il n’a pas vue depuis des années, lutte contre un cancer. En juin 1998, Demi l’accompagne dans la mort, au moment même où elle annonce sa rupture avec Bruce Willis après onze ans de mariage. Un double deuil, qu’il traverse en prenant ses distances. Il se réfugie à Hailey, paradis perdu de l’Idaho où il a acheté une maison de vacances avec l’acteur de “Pulp Fiction”, se consacre exclusivement à ses trois filles et à une nouvelle addiction : le jeu, pas le poker, qui rendait fou son père. Mais les poupées et peluches qu’il achète compulsivement et qui remplissent ses journées. Alors qu’elle a perdu la femme qui lui a donné et qui lui a empoisonné la vie, la star retourne en enfance.
Sa vie continue d’osciller comme un électrocardiogramme : il touche le jackpot, puis touche le fond
Jusqu’à rencontrer, en 2003, un « beau joueur » de seize ans son cadet qui lui offre une seconde jeunesse. Bientôt, il apparaît avec Ashton Kutcher à un bras et Bruce Willis à l’autre. Pour ses filles, Demi Moore veut réussir là où ses parents ont échoué : bâtir un clan plus fort que les divorces et les guerres d’ego. Avec Ashton, son « âme sœur », les débuts ont le goût d’une lune de miel. L’acteur l’emmène au Mexique pour la Saint-Valentin, il incarne le beau-père idéal. Heureux, il se croit plus fort que ses fantômes, il goûte à nouveau à l’alcool, boit des gorgées flash du minibar et se noie dans un océan d’amertume. Comme des millions d’Américains, victime de la crise des opioïdes, il repart chez le dentiste avec une ordonnance de Vicodin, pour en prendre rapidement douze par jour. Sa vie continue d’osciller comme un électrocardiogramme : il touche le jackpot puis touche le fond.
Cette fois, il a le cœur brisé. Son troisième mariage tourne au mélodrame avec les infidélités d’Ashton Kutcher. Un an après leur rupture, en 2012, il pesait 39 kilos et avait des convulsions devant son fils aîné, Rumer, du cannabis synthétique et du gaz hilarant dans les poumons. L’année de son cinquantième anniversaire a été marquée par une extrême solitude. Ses filles refusent de lui parler alors qu’elle est sous l’emprise de drogues. Le téléphone ne sonne pas pour Noël ou son anniversaire, et elle en est sûre : Hollywood ne l’appellera plus.
Demi Moore propose donc le genre de renaissance sur laquelle nous faisons des films. L’actrice suit une nouvelle rééducation, un traitement pour guérir de son traumatisme et revient au présent avec sa famille comme boussole. Lorsque le père de ses filles a annoncé en 2022 qu’il souffrait d’aphasie, elle s’est jointe à lui en lui rendant visite chaque semaine. Malgré le poids des malheurs, il croit toujours au pouvoir de l’amour ; cette douleur est une invitation à se réinventer. Comme sur le tournage de « La Substance », réalisé par Coralie Fargeat. Il a souffert physiquement, il a souffert de son image et du fait d’être le nouveau costume tendance d’Halloween. Avant de souffler. Déchirant, une fois de plus, les diktats d’Hollywood et les diabolisations de l’Amérique puritaine, il a déchiré ses vieux démons. Et il propose une vision de l’âge qui rime définitivement avec cinéma : audace, ouverture d’esprit, résilience somptueuse.