Il est révolu le temps où vous deviez vous rendre au magasin de disques local pour obtenir votre CD. Les quatre saisons de Piquot ou la cassette de Les malheurs de Sophie pour divertir les enfants lors d’un voyage en voiture. La transition numérique des contenus audio destinés aux jeunes est bien engagée et l’offre disponible en ligne est abondante.
Véronique Fontaine, éditrice de Fonfon, société spécialisée dans les albums jeunesse, se souvient de la gestation du premier livre audio de la société, en 2018 : « Chaque fois que nous créons un nouveau livre chez Fonfon, nous organisons une rencontre au cours de laquelle l’auteur nous lit son texte. , pour guider l’illustrateur. Je me souviens que, lors de cette rencontre, lorsque Stéphanie Boulay nous lisait le texte deAnatole qui ne s’est jamais ennuyétout le monde autour de la table pleurait. C’était tellement beau. Sa voix nous a semblé tellement extraordinaire que nous avons décidé d’en faire un livre audio. »
Si cet ouvrage a donc été développé sur un coup de tête, il a marqué un tournant pour la maison d’édition qui s’est lancée à corps perdu dans la création audio. Un projet qui aurait été impensable s’il n’avait pas obtenu les nouveaux budgets offerts par Patrimoine canadien pour le développement de ce type de projet. « Nous sommes probablement l’un des plus grands producteurs d’albums d’images au format audio. Mais « grand acteur » est un grand mot car ils sont très peu nombreux. Le livre audio est considéré comme une promotion du livre papier. Une sorte de promotion créative. »
Le livre se dématérialise
Léonard, 6 ans, adore les livres audio. S’il devait choisir entre ces moments où son père lui fait la lecture et les livres audio, le garçon répond sans hésiter qu’il opterait pour la deuxième option, au grand étonnement des parents ! « Cela me calme lorsque je suis en colère », explique Leonard. Pour les enfants accros à la lecture, comme lui, ce type de contenu numérique permet de combler un besoin qui ne peut pas toujours être satisfait par le parent, explique le père. Mais le livre audio ne remplace pas le parent, ajoute-t-il. En lisant, Léonard lui pose souvent des questions, alors que le livre audio impose un flux continu, ce qui ne permet pas une telle suspension de la lecture.
« L’aspect intéressant du format audio, dans le cas précis de l’album illustré, c’est que l’un n’empêche pas l’autre, en termes de ventes, reconnaît Véronique Fontaine. Si un enfant écoute la version audio, il n’a pas encore vu les illustrations. Généralement l’audio leur donnera envie de découvrir la version papier et inversement. Alors que dans le cas d’un roman, par exemple, l’enfant peut ne pas vouloir le lire, car il n’a aucune valeur ajoutée, comme les illustrations d’un album. » On connaît bien d’ailleurs l’attrait des enfants à retravailler les mêmes histoires, ce que Freud appelait un jour la compulsion à la répétition.
Simone, 10 ans, n’a pas abandonné le livre audio lorsqu’il a appris à lire « J’aime ça parce que je n’ai pas besoin d’avoir le livre entre les mains. J’aime aussi le fait que d’autres voix le disent, c’est différent de celle des parents. J’écoute souvent des livres audio en groupe ou en famille, ce qui est différent de la lecture, qui est plus solitaire”, explique la jeune femme.
Véronique Fontaine constate également que ces contenus sont souvent écoutés en déplacement. « Aurions-nous un livre papier entre les mains dans la voiture ? Pas nécessairement. Mais on observe que plusieurs familles repartent en voiture avec des livres audio. Toute la famille peut se faire raconter des histoires. C’est une écoute partagée. »
Pour découvrir les classiques
Il suffit d’ouvrir une plateforme comme OhDio pour avoir accès à une centaine de livres audio pour enfants, absolument gratuits. Même sur les plateformes payantes, comme Audible, l’offre est abondante, et cela n’est pas peu dire. Ce sont 54 890 titres que la plateforme d’écoute en ligne propose par abonnement. Vous pouvez effectuer une recherche dans différentes catégories, en fonction des intérêts des jeunes : romans policiers et suspense, Grandir et faits de la vie, Animaux et nature, etc. La collection « Gallimard jeunesse » propose de nombreux classiques de l’audio, comme Six contes des frères Grimm, Petit Nicolas, Contes pour vilains enfants et Le monde de Lucrezia.
Un tel contenu audio est une manière ludique d’exposer les enfants aux classiques de la littérature, mais aussi aux grands contes de l’histoire. Le petit de 6 ans confie également que l’un de ses grands favoris est Le feuilleton Hermès. Mythologie grecque en cent épisodes.
Autre grand acteur québécois dans le domaine du contenu audio pour enfants, les éditions La Montagnesecret, rééditent ce mois-ci Un trésor dans mon jardin. Il y a vingt ans, cette maison d’édition voyait le jour en même temps que la parution de ce livre musical, qui nous fait découvrir l’univers de Gilles Vigneault. Depuis, 50 000 exemplaires de cette œuvre audio ont été vendus. Le titre se présente cette fois sous la forme d’un album de musique qui, grâce à un QR code, permet d’écouter les chansons associées au livre illustré par Stéphane Jorisch. Parmi les artistes, on retrouve de grands noms tels que Daniel Lavoie, Lynda Lemay, Richard Desjardins et Michel Rivard.
Pour Véronique Fontaine, qui s’est consacrée à la musique avant de devenir monteuse, le format audio apparaît comme une sorte de « consécration » qui lui permet d’allier ses deux passions. Puisque les livres audio ne se limitent pas aux voix d’acteurs, ils font également appel à un véritable orchestre. Elle est également la directrice musicale de ces œuvres qui réunissent des musiciens talentueux tels qu’Ingrid St-Pierre, Dumas et Klô Pelgag. « En audio, nous n’avons plus d’illustrations. La musique aura donc pour rôle d’apporter des émotions, de planter le décor. Il s’agit pour nous d’une transposition, si l’on veut, des illustrations. » La dimension musicale est centrale dans ces œuvres, comme dans les livres audio en général. Par exemple, un titre populaire comme El Kapoutchi utilise beaucoup de rimes et de rythmes pour plaire aux jeunes.
Une offre diversifiée : podcasts, applications et posters
Outre le livre audio et l’album jeunesse, de nombreux contenus audio sont proposés aux jeunes sous forme de podcasts, notamment sur la plateforme La Puce à l’oreille, ou au travers d’affiches interactives, comme Ohé!un ouvrage proposé ces jours-ci par Québec Amérique que la maison d’édition décrit ainsi : « Il suffit de lire à haute voix les mots écrits dessus pour déclencher, via une application gratuite, des missions audio riches en contenus et en rebondissements. Un véritable livre audio dont vous êtes le héros, conçu pour les enfants à partir de 7 ans ! »
Une autre initiative, créée par la société Bookinou, offre la possibilité d’enregistrer votre lecture audio. Une application utile pour les parents qui habitent en Abitibi et dont la famille vit toujours en France. « Les livres lus sont synchronisés avec un autocollant magnétique ajouté au livre. L’enfant dispose d’une boîte avec laquelle il scanne l’autocollant, puis la lecture démarre automatiquement. Nos enfants, Abel et Agapé, possèdent une petite bibliothèque lue par plusieurs membres de la famille. Certains livres ont été enregistrés en France : grand-père avec petits-enfants, écoutons donc leurs réactions et commentaires. Ce sont de beaux souvenirs ! » disent Céline et Samuel.
Un avenir incertain
L’avenir du contenu audio jeunesse est-il prometteur ? Rien n’est moins sûr, selon Véronique Fontaine. « Le livre audio coûte très cher. La musique originale, en particulier, n’est pas bon marché. C’est un financement gouvernemental qui nous a permis de nous lancer dans l’industrie audio, mais ce financement n’existe plus. Il faut donc se débrouiller. » La plupart des éditeurs ont arrêté de créer du contenu audio. Faute de budget, l’éditeur ne crée désormais que deux ouvrages par an. Quoi qu’il arrive, le public est là.