Vendredi soir au Théâtre Outremont, lors de la projection anniversaire de Maman En présence de Xavier Dolan et de son équipe, les spectateurs ont applaudi sauvagement lorsque le personnage de Steve (Antoine Olivier Pilon) a semblé élargir le cadre de l’écran avec ses mains.
Publié à 1h36
Mis à jour à 7h15
J’ai pensé à Herby Moreau. « Vous ne pouvez pas manquer ça », m’a-t-il dit en mai 2014, à propos de la projection officielle de Maman au Festival de Cannes, auquel je n’étais pas invité. J’avais vu le film la veille, en séance de presse. Les journalistes ont également applaudi, avec surprise et ravissement, au moment où le format de l’image est passé d’un carré étouffant à un rectangle plein d’espoir.
“Avez-vous un costume?” Un nœud papillon ? Des chaussures noires ? Je connais quelqu’un qui a été refoulé parce qu’il portait des chaussures marron», me dit le providentiel Herby en me tendant son précieux billet. Grâce à sa générosité, j’ai pu assister à la projection le soir même au Palais des Festivals. Et c’était mémorable. Les jeunes spectateurs criaient « La Palme ! » tandis que Xavier Dolan, ému aux larmes, embrassait ses parents et ses actrices, Anne Dorval et Suzanne Clément.
Comme la veille, il y a eu une salve d’applaudissements lorsque le cadre est passé du format 1:1 à 1:85 et Steve, sur son longboard, écartait les bras au son de Mur des merveilles d’Oasis. L’ovation au générique, d’une intensité remarquable, a duré 13 minutes (je l’ai calculée moi-même car c’était tellement inhabituel). Une partie de la presse, française notamment, militait pour Maman remporte la Palme d’Or. Il a reçu le Prix du Jury, présidé par la cinéaste Jane Campion, à égalité avec Adieu à la langue de Jean-Luc Godard.
« Tout dépassait l’entendement : avec cet excès unique dont le Festival est parfois le théâtre, cette façon d’inventer des moments sacrés sans jamais céder au cinéma, Xavier et Maman ont été l’événement de Cannes 2014», écrit le grand homme du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, dans la préface du splendide livre de photos de Shayne Laverdière, Une amitié au cinémaque Xavier Dolan vient de publier.
Le cinéaste, alors âgé de 25 ans, avait-il anticipé cette réaction du public ? «Non», m’a-t-il dit lors d’une interview. C’est un moment que j’avais imaginé être grand et puissant, mais on ne sait jamais ce qui va impacter les gens et les émouvoir. On a des intentions, des désirs, mais on ne sait jamais. »
Antoine Olivier Pilon n’avait que 15 ans lorsqu’il a tourné Maman. «Cela représente quelque chose», m’a dit Dolan en feuilletant les pages du livre. C’est un ange déchu, avec ce visage de chérubin soudain capable de se rebeller. Jane Campion parle de lui dans sa préface comme d’un enfant étrangement sexy. Même si on n’aime pas dire ce genre de choses, Antoine dégageait déjà ce charisme. »
Pilon, qui porte une grande partie du film sur ses épaules, était aussi à l’aise dans les scènes de crises violentes que dans la répartie comique, souligne Xavier Dolan. D’un naturel désarmant, parfaitement décomplexé. Pourtant, le jeune acteur arrivait dans un univers que Dolan avait déjà façonné depuis quatre films, notamment en compagnie de ses deux actrices préférées.
«Quand je travaille avec quelqu’un comme Anne ou Suzanne, et qu’on a une histoire ensemble, le plaisir c’est d’aller ailleurs, de changer», dit-il. Rire et marcher autrement. Souvent, Anne me le disait pendant qu’on tournait Maman : ‟Non, ça ressemble plus à J’ai tué ma mère ; nous n’en sommes pas là, nous utilisons le mauvais ton. En tournant La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé aussi, on se disait parfois que c’était trop Maman. »
Ces jours-ci, Dolan présente des projections spéciales de Mamandont certains étaient sur film 35 mm pour la première fois. « Au-delà du 35 mm, je me rends compte qu’il y a des jeunes qui me disent qu’ils avaient 4 ans à la sortie du film », me confie Dolan en grimaçant. C’est un peu pénible vu le temps qui passe, mais il existe une génération de cinéphiles qui soit ne l’ont jamais vu, soit ne l’ont jamais vu sur grand écran. » C’est pour cela que j’ai acheté des billets pour mes fils de 18 et 20 ans.
Dolan a d’abord eu l’idée de ce livre, inspiré des photos de son amie Shayne Laverdière. Il a été invité à présider le jury de la section Un Certain Regard au Festival de Cannes, qui coïncidait avec le dixième anniversaire de Maman. Il propose alors à son distributeur français mk2 de coéditer ce bel ouvrage sur les coulisses du tournage du film et les coulisses de sa réception exceptionnelle à Cannes. La dernière photo du livre est celle de l’écran d’ordinateur de Dolan, sur laquelle on peut lire le « discours d’anthologie » (dixit Thierry Frémaux) qu’il a prononcé quelques heures plus tard, au moment du dévoilement du palmarès.
« Il y a des moments de doute, des secrets dans les oreilles, des silences, des moments de star sur le parquet avec Antoine Olivier Pilon. Je n’aurais jamais fait un livre photo sur mon film. Ce n’est pas assez intéressant. Mais les compositions, le sens du détail de Shayne, les histoires qu’il raconte : c’est sa vision. Ce sont les qualités photographiques que je voulais célébrer. »
Ce que Xavier Dolan retient de cette aventure, dix ans plus tard, ce ne sont pas les prix à Cannes, les César ou les Jutras, mais ce qui s’est passé loin des caméras. « Ce sont des moments, des intrigues insoupçonnées, des dynamiques qui se sont déroulées, notamment sur le plateau de tournage, que le film ne permet pas forcément d’envisager. »
Comme cette soirée d’émotions fortes que j’ai vécue au balcon du Théâtre Lumière à Cannes.
Maman est présenté les 5 et 20 novembre à la Cinémathèque québécoise, en présence de Xavier Dolan, et le 9 novembre au Cinéma Beaubien. Plusieurs présentations ont également lieu partout au Québec.
Une amitié au cinéma (Une amitié à travers le cinéma)
Xavier Dolan
mk2 Publishing et Sons of Manuel
480pages